La guerre d’Algérie s’est déclarée dans une période de l’Histoire de la justice qui n’est pas anodine. Avec l’avènement du procès de Nuremberg, la notion du droit à la justice pour tous était dès lors portée en étendard. Pour autant, la vie et le combat d’une poignée de femmes et d’hommes de loi, qui ont pris à coeur la défense des révolutionnaires algériens face à la justice coloniale, se sont vus impactés par ce choix. leur liberté, leur dignité et leur réputation ont traversé bien des périls. Voici leur histoire.
Épisode 1 : Gisèle Halimi, la dame de pique.
Gisèle, née Zeiza Gisèle Elise Taieb en juillet 1927 à La Goulette, au nord de la Tunisie, est particulièrement connue et célébrée pour son combat féministe en faveur du droit à l’avortement, aux côtés de Simone de Beauvoir. Elle s’est illustrée lors de célèbres plaidoyers : en 1971, avec la création du collectif Choisir la cause des femmes, ou encore en 1972, lors de son célèbre procès de Bobigny pour l’avortement. Deux actions qui ont finalement abouti à la promulgation de la loi Veil sur l’interruption volontaire de grossesse en 1975. Combat à l’époque ô combien polémique et houspillé. Mais Gisèle est habituée aux scandales et n’entend pas entrer dans le moule.
Déjà dans les années 50, la jeune tunisienne, fraîchement diplômée, s’est en effet saisie des dossiers les plus brûlants et milite contre la colonisation et pour l’indépendance. D’abord de son pays, la Tunisie, puis pour celle de l’Algérie. En 1956, elle prend le dossier de 44 condamnés algériens dont les aveux ont été imposés. Sur place et alors qu’elle prépare son plaidoyer, elle se confronte avec effroi et dénonce avec force la torture pratiquée par l’armée française de manière quasi systémique. L’avocate pointe tout ce qu’elle considère comme des procédés indignes des valeurs françaises, qu’elle a tant rêvées et glorifiées lors de son enfance en Tunisie. Maître Halimi remet en cause les autopsies truquées par un médecin, qui reconnaîtra finalement la falsification de ses rapports.
Ses combats ne sont pas du tout en odeur de sainteté et ne sont pas financièrement glorieux. Gisèle, jeune maman, vit alors dans une quasi précarité. Elle signe aux côtés de Jean-Paul Sartre et d’autres personnalités de gauche le Manifeste des 121, connu également sous le nom de « Déclaration sur le droit à l’insoumission dans la guerre d’Algérie » et publié dans le magazine Vérité-Liberté dans l’édition du 6 septembre 1960.
La même année, elle prend la défense de Djamila Boupacha, une porteuse de feu, arrêtée, torturée puis violée en détention par des soldats français. Gisèle Halimi fonde une défense qu’elle médiatise abondamment. Elle remet en cause les conditions d’extorsion des aveux de la jeune femme et dépose une plainte contre X pour le viol de Djamila Boupacha, une grande première. L’avocate a constaté en effet le viol comme véritable arme de guerre pratiquée à grande échelle par les soldats français, elle tente de mettre à nu ces pratiques barbares et convoque des médecins gynécologues qui expertisent le dossier.
Ce procès retentissant trouve un écho dans les colonnes du Monde sous la plume de Simone de Beauvoir qui co-écrira dans la foulée avec Gisèle Halimi le livre Djamila Boupacha, paru chez Gallimard en 1962, qui trouvera un succès certain dans l’intelligentsia parisienne auprès de grands noms tels que Jean-Paul Sartre, Louis Aragon, Geneviève de Gaulle ou encore Germaine Tillion. Pablo Picasso immortalise par ailleurs, dans la foulée de la sortie du livre, un portrait de Djamila Boupacha en 1961 à la une du magazine les Lettres Françaises, dessin estimé ce jour à 400 millions de dollars. Cette médiatisation à outrance n’est pas sans arrières pensées, puisque Gisèle l’utilise allègrement et sans dissimulation dans l’espoir de sauver sa cliente de la peine de mort, avec l’agrément du public. En 1961, Djamila Bouapacha est tout de même condamnée à mort mais bénéficie de l’amnistie dans le cadre des rapports d’Évian. Elle est libérée en 1962.
Figure d’opposition, le combat des causes perdues de Gisèle Halimi se poursuivra à la fin de la guerre d’Algérie, avec une grande partie de sa carrière consacrée au féminisme et au militantisme au sein du collectif Choisir. Elle deviendra une femme politique influente et célébrée, une écrivaine passionnée et reconnue. Ses procès les plus célèbres seront repris au théâtre et à la télévision. Elle s’éteint en juillet 2020, le lendemain de son 93e anniversaire à Paris au terme d’une vie de combat.
Les hommages sont unanimes, à la fois dans la presse et dans la sphère politique, avec un hommage au cœur de l’hémicycle de l’Assemblée Nationale.Des pétitions réclament la panthéonisation de Gisèle, le rapport Stora va d’ailleurs en ce sens : pour l’historien, cette mesure serait une action en vue de la réconciliation des mémoires. Cependant, des réserves sont émises, a priori par les plus hautes fonctions présidentielles. D’après une source proche de France inter , le président Emmanuel Macron serait réticent à l’idée d’inhumer Gisèle Halimi au Panthéon, du fait de son engagement pour l’Algérie et à son opposition contre le colonialisme, car il trouverait le personnage « clivant ». En effet, des associations de Pieds noirs et de Harkis se sont opposés à cette panthéonisation. Une association de femmes et de filles de harkis a accusé Maître Halimi d’avoir affiché plusieurs fois son mépris pour les harkis et plus précisément les femmes harkis qu’elle a qualifiées comme ennemies de la Femme.
Il est intéressant de constater via le dossier de la panthéonisation déboutée de Gisèle Halimi, que le combat contre le colonialisme et contre certains crimes de guerre perpétrés par la France, rendent encore aujourd’hui une personnalité persona non grata parmi les plus hautes distinctions et hommages rendus par la Nation. Une preuve de plus que ce conflit porte toujours, 60 ans plus tard, une odeur de scandale.
Aux grandes femmes, l’humanité est reconnaissante.
Par Nouha