1962, « c’était l’OAS »

Publié le 19 juin 2022

Alors que nous célébrons cette année le soixantenaire  de l’indépendance algérienne, sujet de célébrations et d’hommages, nous revenons aujourd’hui à travers une archive d’actualités filmées anglophone pour comprendre ce que 1962 incarne également, au-delà de la fin de la guerre ; un étalement du conflit à travers le siège de Bab el Oued. 

1962. Alors que les accords d’Évian, marquant le début d’un processus de sortie de guerre, sont signés le 18 mars, certains Français s’opposent à ce qui leur semble être une trahison. L’OAS, organisation de l’armée secrète favorable au maintien d’une Algérie française et établie depuis février 1961, est déjà connue pour ses intimidations, sa brutalité, ses attentats. Exerçant une violence déjà assourdissante, l’OAS n’entend pas de la même oreille les décisions actées entre le FLN et le gouvernement français. Les hostilités montent d’un cran. Il faut à peine cinq jours à l’organisation pour répondre à cet affront : le 23 mars, elle se retranche à Bab el Oued, alors quartier européen, pour s’opposer par les armes au processus lancé. C’est la bataille de Bab El Oued, qui oppose l’armée française à l’OAS.

Cette archive vidéo trouvée sur le site British Pathé est sortie le 27 mars 1962. Il s’agit, on s’en doute, d’une actualité filmée qui recense les premiers jours du siège. Segmentée en quatre parties, elle permet de comprendre la géographie du siège, son aspect de guérilla, mais aussi les angoisses qu’elle produit. 

On observe tout d’abord les abords de Bab el Oued, côté français. La caméra filme la mise en place de barrages, sous le regard des habitants aux fenêtres. Les soldats bloquent le périmètre devant des graffitis de l’OAS. Dans la rue, à la frontière de la zone d’affrontement, des Algériens, des passants, échangent avec des soldats. C’est une vie mouvementée qui continue, et qui contraste avec le plan suivant : une vision désertique où le statisme prend le dessus sur l’agitation, où les chars succèdent aux habitants dans les rues, seuls promeneurs autorisés. On ne s’éloigne pas trop du périmètre de sécurité : nous retournons rapidement sur la frontière qui précède le no man’s land militaire. Les soldats continuent de monter la garde sous le regard des passants. Certains lèvent à peine les yeux vers la scène, comme habitués par un tel quotidien de violence et d’exceptionnalité militaire, d’autres se retournent pour mieux voir. On en vient à se demander si ce n’est pas plutôt la caméra et les journalistes qui attirent le regard des plus jeunes, et non pas les chars et les militaires en treillis. Un plan final de mitraillettes devant des draps suspendus aux fenêtres apparaît, et l’action peut commencer. Nous pénétrons dans le nœud de l’intrigue. 

De la caméra statique, nous basculons à la caméra portable : la prise de risque des journalistes qui suivent les soldats et la gendarmerie mobile au cœur de Bab el Oued est énorme. Trois soldats sont mis en scène : un se cache, l’autre part en éclaireur, et un dernier au téléphone en contact avec l’arrière. On pourrait se croire en plein film d’action, le spectateur étant emmené au cœur de l’événement. De nouveau, des graffitis « OAS » « Salan » (général de l’armée française, il est le cerveau du Putsch des généraux en 1961 et à la tête de l’OAS) apparaissent sur les murs et devantures des magasins, alors que ses membres sont traqués. Leur présence invisible encercle les soldats. Absents mais omniprésents, ils dévorent l’espace. Puis, les soldats entrent en action, mitraillettes à la main : échange de balles, lancer de grenades ou de pierres, on ne sait pas trop. Les chars alors colosses jusqu’ici immobiles entrent en mouvement et se joignent au bal. 

Après cette première salve d’attaques, les vestiges urbains de la confrontation cohabitent avec les vivants. Du panorama d’une ville immaculée, on bascule vers la destruction, l’horreur, l’angoisse. Des débris sur l’espace public, des arbres arrachés, des voitures désossées… Les curieux observent, encerclent le défunt arbre. Pourtant la vie reprend son cours, le trafic automobile est plus vivant que jamais. Mais les traces de la violence sont là pour rappeler aux vivants que la peur n’est pas partie : des vitres transpercées par le passage des balles, des câbles segmentés par des tentatives de sabotages. Les façades des bâtiments portent également en leur sein les traces de la valse des échanges de balles. Elles illustrent la puissance de l’impact : de l’intérieur, un trou dans le mur, impressionnant par sa taille. On devine la brutalité des échanges. Une maison criblée de balles ; au-dessus de la table du salon, sur la porte, les rideaux… Elles traduisent la vulnérabilité des habitants au quotidien, à tout moment victimes injustes de cette valse sauvage. Ce sont les premiers jours du siège.

Dès le lendemain, le 24 mars, les tensions s’intensifient, et les contrôles sont de plus en plus systématiques. Dans les hauteurs d’Alger, des hommes au brassard scrutent ceux qui veulent entrer dans la Casbah. C’est le FLN qui organise ces contrôles de véhicules et conducteurs, craignant une attaque de l’OAS capable de faire rentrer une voiture incendiée, comme ce fut le cas deux mois plus tard, en mai 1962. Le ciel bleu d’Alger est étouffé par la fumée noire des incendies à répétition. Côté OAS, un hommage est rendu aux victimes du premier jour d’attaque au monument aux morts de la Première Guerre mondiale, monument aujourd’hui inexistant. Selon l’actualité filmée, 3000 Européens auraient répondu à l’appel de l’OAS demandant d’assister à la cérémonie d’hommage aux 20 civils décédés. Sur les gerbes déposées on lit « A ceux de Bab el Oued, morts pour l’Algérie française ». La mobilisation militaire, civile et symbolique est évidente. 

Enfin, les dernières images partagées par cette actualité filmée : des hommes et des femmes, des Européens, chargeant à la hâte et à ras bord les voitures et camionnettes de vivres. Pour eux, le siège de Bab el Oued ne vient que de commencer. Le blocus annoncé, les civils disposent d’une heure par jour pour se ravitailler. 

Après 130 ans de colonisation et 8 ans de guerre, l’indépendance n’est plus qu’une question de mois, que le veuillent les réfractaires ou non. 

1962, ce n’est pas essentiellement l’histoire de la fin d’une guerre, d’une célébration de l’indépendance durement acquise, fraîchement obtenue ; c’est aussi l’histoire d’une angoisse collective qui dure et s’intensifie sous l’ombre de l’OAS qui ne dira jamais son dernier mot. 

Par Maïssa