Le 1er novembre 1954 : révolution algérienne, le “sang de la Toussaint”

Publié le 1 novembre 2020

Le 1er novembre 1954, le sang coule en Algérie ; c’est le début de la guerre. Soixante-dix attentats seront commis par le FLN pour annoncer le soulèvement du peuple algérien contre la colonisation française. Ces évènements seront appelés la “Toussaint Rouge” par la France. 

Comme un éclair dans la nuit noire. Le 1er novembre 1954, soixante-dix attentats sont perpétrés sur le territoire algérien, alors colonie française. L’ensemble du pays est touché, mais les régions de l’Aurès et la Kabylie enregistrent le plus de dégâts. Au total, huit personnes, dont des soldats, un caïd et un couple d’instituteurs, perdent la vie. En métropole, le choc est immense: jamais l’Algérie n’avait aussi frontalement affirmé son besoin d’indépendance. Pour beaucoup, le 8 mai 1945 n’était qu’un lointain souvenir. L’Algérie indépendante? Jamais! Jamais, elle oserait s’affranchir d’un pays comme la France. De toute façon, le gouvernement ne laisserait pas passer ça. Perdre l’Algérie, c’est renoncer à son empire, qui s’effrite déjà. C’est surtout perdre sa grandeur, sa puissance, sa raison d’être. Pierre Mendès France, alors président du Conseil, envoie son ministre de l’Intérieur sur le terrain, histoire de calmer les passions. François Mitterrand arrive dans la journée. Costume noir, sobre, chemise blanche, il s’avance au micro, les mains dans les poches. Le ton grave, il s’exclame: «L’Algérie, c’est la France et la France ne reconnaîtra pas chez elle d’autre autorité que la sienne.» Naïf. Aucune discussion n’est amorcée avec les commanditaires de la Toussaint Rouge, nom donné à ces événements. Pourquoi se donner la peine? Ils ne seraient qu’une poignée et ne reflèteraient en aucun cas le souci d’indépendance qui brûle dans les coeurs des Algériens. À ce moment précis, la France s’acharne dans son colonialisme et jamais, à aucun moment, ne s’interroge sur ses actions. Et s’il était l’heure de se retirer? D’établir une réelle introspection? Non. Ils ferment les yeux, les oreilles et foncent tête de baisser. François Mitterrand décrit la Toussaint rouge comme «une tentative insurrectionnelle manquée». C’est bien la preuve qu’ils sous-estimaient ce moment.


La fibre indépendantiste

Mais revenons en arrière, avant ce jour de sang, le discours de Mitterrand. L’Algérie devient un département français après sa colonisation en juillet 1830. Alors qu’en métropole l’égalité entre les hommes règne, en Algérie il y a les citoyens de première zone, les Européens, et ceux de seconde zone, les Musulmans. D’emblée, une différence est établie. Les meilleures écoles étaient réservées aux colons, les miettes aux indigènes (à ce sujet : lire le récit de Mohamed Baalache). La Première Guerre mondiale éclate, la France s’enlise dans un conflit compliqué. Elle fait appel à ses colonies pour combattre l’ennemi commun : l’Allemagne. La guerre est gagnée. Nos grands-parents espèrent être mis en avant. Après tout, ils avaient participé à cette victoire in extremis. Mais non, ça sera pour une prochaine fois. Les restrictions imputées aux Musulmans d’Algérie s’accumulent. Eux, se taisent. Dans les années 1920, des mouvements indépendantistes fleurissent. Messali Hadj est sa figure de proue. Dès 1927, il réclame l’indépendance totale de l’Algérie, l’audace. Les années passent, ils forment plusieurs partis, dissous par le gouvernement, qui voit d’un mauvais oeil ses actions. La Seconde Guerre mondiale se déclenche. Les pays colonisés sont invités par Charles de Gaulle à rejoindre le combat pour une France libre. Ils débarquent dans le sud de la France en 1944, participe à la libération de Paris. La fierté de nos grands-pères. Le 8 mai 1945, la capitulation d’Hitler est annoncée : joie instantanée dans le monde. En Algérie, on fête la victoire sur l’ennemi. Pourtant, cette journée d’euphorie se transforme en larmes et en sang.

Le passage au combat armé

C’est trop. Il est temps de s’organiser, de combattre ensemble. Après plusieurs tentatives d’alliance, le Front de Libération Nationale (FLN) voit le jour officieusement le 23 octobre 1954, soit quelques jours avant la Toussaint Rouge. L’objectif de cette formation? Engager une lutte de libération nationale contre la « France coloniale » et pour la création d’un «État algérien démocratique et populaire». Le jeune groupe est composé de six hommes, ceux que l’on appelle « les chefs historiques » : Krim Belkacem, Mostefa Ben Boulaïd, Larbi Ben M’Hidi, Mohamed Boudiaf, Rabah Bitat Didouche Mourad.

Les six membres fondateurs du FLN

Le 1er novembre, le FLN lance cette série d’attentats, fomentée depuis plusieurs jours. Les dégâts matériels ne sont que minimes mais la mission symbolique est atteinte : le FLN officialise sa présence et son passage au combat armé. Sur les ondes de la radio du Caire, le groupe de six appelle les Algériens à rejoindre la lutte. Gamal Abdel Nasser, président égyptien panarabe, soutient le soulèvement. En métropole, le peuple est sous le choc. La Guerre d’Algérie, que l’on refuse de nommer ainsi en France jusqu’en 1999, débute. L’édition de France Soir datant du lendemain titre « Brusque flambée terroriste en Algérie ». Ils ont tord. Ces événements n’ont rien de brusque. Ils brûlent dans les esprits des Algériens depuis tant d’années. Mohamed Lakhdar-Hamina, cinéaste, explique ce processus dans son film « Chronique des années de braise » : la guerre d’Algérie n’est sûrement pas une « brusque flambée ». Elle est la conséquence d’années d’épreuves, de lois ségrationnistes, de mépris, de pilonnages. Elle est la pure représentation d’un ras-le-bol collectif, d’une envie de se saisir de sa propre narration.

Pour que personne n’oublie

Mon grand-père, Lakhdar Allahoum, refusait de parler de ces années. J’ai appris, bien plus tard, la place de ma famille, de ses cousins, dans cette guerre : de leur féroce implication et de la sienne à une plus petite échelle. Et j’en étais si fière. Un jour, j’étais de passage chez lui, à Badjarah à Alger. Il s’enfermait dans un mutisme, mon grand-père. Il refusait d’épiloguer sur cette époque, sûrement encore fracturé par ces années sanguinaires. Je tenais dans mes mains un livre sur la Guerre d’Algérie, je ne sais plus lequel. C’était une période importante pour moi. J’essayais de comprendre qui j’étais, d’où je venais. Je voulais en savoir plus sur l’Algérie de mes ancêtres, sur cette guerre. J’étais assise dans le salon, aux pieds de ma maman. Lui, passait en coup de vent dans le couloir. Il s’approcha de moi et me murmura: « Jamais je n’ai été aussi fier d’être Algérien qu’au moment du 1er novembre 1954 ». Puis, il s’éclipsa. Plus jamais on en reparla, à mon grand désespoir. En 2017, il s’est éteint avec tous ses souvenirs et ses secrets.

Au moment d’écrire ces lignes, j’apprends qu’un de ses cousins, Larbi Allahoum, décède. Mon coeur se serre. Je le connaissais seulement de nom. Lui aussi a participé à la libération de l’Algérie, en rejoignant l’ALN, la branche armée du FLN, en 1957, inspiré par ces événements du 1er novembre 1954. Il fut emprisonné du 1958 à 1959 à cause de ses actions. Mais il continua, jusqu’à ce que l’Algérie arrache son indépendance. Quelle coïncidence: le jour où je décide d’écrire cet article, l’un de ses acteurs s’éteint. Cela prouve encore une fois, que c’est à nous de retranscrire les vies de nos ancêtres. Pour que personne n’oublie.

Par Donia Ismail

(Re)découvrez le poème de Georges Garié, ancien appelé en 1956 :