“De nos frères blessés”, premier roman de Joseph Andras paru en 2016 chez Actes Sud*1, retrace l’histoire de Fernand Iveton.
“Quand la Justice s’est montrée indigne, la littérature peut demander réparation”. Cette phrase incrustée en quatrième de couverture est une fabuleuse manière d’introduire ce livre, qui s’empare de la lutte pour l’indépendance algérienne à travers le destin tragique de Fernand Iveton.
De l’interrogatoire, à la détention en passant par le procès et la torture, Joseph Andras, retrace l’histoire de ce jeune ouvrier communiste anticolonialiste rallié au FLN, condamné à mort par le tribunal militaire d’Alger et guillotiné en février 1957.
Le 14 novembre 1956, Iveton dépose dans l’usine à gaz où il travaille, une bombe artisanale qui doit exploser après la fermeture du site. Il s’agissait d’un acte de sabotage purement symbolique, puisque Iveton réprouvait “aussi bien moralement que politiquement la violence aveugle, celle qui frappe les têtes et les ventres au hasard”. L’avocat Joé Nordmann finira par plaider son recours en grâce, mais sera rejeté par René Coty, président de la République en cette période. Cette décision aura la résonance d’une admonestation envers tou·te·s celles et ceux qui tenteraient de mettre en marche ou de soutenir le peuple algérien vers son indépendance.
Le roman alterne entre les récits biographiques, où on retrouve la rencontre avec sa femme et la construction de ses convictions politiques, et son histoire au présent, depuis son arrestation jusqu’à son exécution. L’auteur revient sur l’horreur du colonialisme “Des histoires à plus dormir. Des gens brûlés vivants avec de l’essence, les récoltes saccagées, les corps balancés dans le puits, comme ça, on les prend, on les jette” et sur les humiliations qu’ont subies les algerien·nes “on a obligé des Arabes à se mettre à genoux devant le drapeau tricolore et à dire “nous sommes des chiens” ”. Parmi le cortège de violences qui accompagnent la répression des mouvements indépendantistes, la torture*2 y est crûment décrite comme l’illustrent ces extraits : “Fabien est déshabillé, coup de bâton sur la plante des pieds, électrodes sur les testicules” “le corps de Fernand en est presque entièrement brûlé, chaque portion chaque espace chaque morceau de chair blanche ont été passés à l’électricité.”
Le colonialisme s’appuie sur des processus de racialisation, qui traduisent la volonté des nations occidentales d’asseoir leur domination politique, économique et culturelle sur le reste du monde. L’établissant de ce régime érige la discrimination raciste comme norme structurante de la société coloniale. Par ailleurs, la lutte face à ce système d’oppression se veut quant à elle universelle comme le souligne Henri Maillot dans sa lettre, il s’agit “d’une lutte d’opprimés sans distinction d’origine contre leurs oppresseurs et leurs valets sans distinction de race”.
Je terminerais cette recommandation par les dernières paroles prononcées par Fernand Iveton, avant d’être guillotiné aux côtés de Mohamed Ounouri et Mohamed Lakhneche, à 4 h 30 du matin le 11 février 1957 à la Prison de Serkadji : « La vie d’un homme, la mienne, compte peu. Ce qui compte, c’est l’Algérie, son avenir, et l’Algérie sera libre demain »
NB: L’adaptation cinématographique du roman sortira le 23 mars prochain au cinéma
1. L’ouvrage est aussi paru aux éditions aux éditions algériennes Barzakh et a été traduit en arabe par Salah Badis “عن إخواننا الجرحى” en juin 2018.
2. Guerre d’Algérie : regarder le passé en face | Cairn.info