Figure incontournable de la résistance algérienne, le colonel Amirouche a marqué le combat pour l’indépendance. Il est aujourd’hui symbole de liberté, Mélissa en dresse le portrait.
Amirouche naît en 1926 à Tassaft Ouguemoun, dans la wilaya de Tizi Ouzou. A la suite de la mort de son père, sa mère prend la décision de retourner vivre dans le village de son enfance, Ighlis Bwammas, avec ses deux enfants. Issu d’une famille très pauvre et orphelin de père, il passe son enfance dans la servitude, proposant son aide à des familles plus aisées en échange de vivres. Comme beaucoup d’orphelins, Amirouche semblait destiné à ce statut d’asservissement qu’on appelle “acrik” en berbère. Mais alors qu’il n’est encore qu’un jeune adolescent, il réussit à se faire scolariser. Son passage à l’école changera la donne. Il y apprendra à lire et à écrire, et développera alors des capacités intellectuelles remarquablement vives. Il acquerra également des connaissances décisives pour le futur moudjahid qui s’ignore.
Avant de s’engager dans la politique, Amirouche est artisan. Après son mariage, son oncle l’aidera à monter un petit commerce de bijoux dans lequel il vendra des colliers, bracelets et bagues. Un an auparavant, le statut de 1947 était passé et devait maintenant être appliqué. Ce statut devait permettre entre autre la création d’une Assemblée Algérienne et la proclamation d’une “égalité effective de tous les citoyens”. Alors que cette loi devait apaiser les tensions, elle a été mal accueillie par les Français d’Algérie. Pour contrer cela, les dirigeants européens décident de faire dépendre la proclamation de “l’égalité entre tous les citoyens” d’un vote de l’Assemblée algérienne et de frauder les votes pour que cette loi ne soit pas appliquée. En 1948, les élections sont bel et bien truquées. Ce jour d’élection pour l’Assemblée algérienne laisse une sensation d’humiliation chez beaucoup d’Algériens, et fait plonger dans l’action révolutionnaire beaucoup d’hommes face à cette injustice : Amirouche en fait partie.
Amirouche quitte son village pour Alger, et rejoint l’OS (Organisation spéciale), le bras armé clandestin du MTLD (Mouvement pour le Triomphe des Libertés Démocratiques). Malheureusement, l’OS subit une très forte répression de l’armée française et cette dernière est démantelée en 1950. Amirouche est incarcéré peu de temps après. Il est ensuite libéré sous condition : il est interdit de séjour à Alger. Malgré l’interdiction, il se rend régulièrement à la capitale de manière clandestine pour garder contact avec le réseau résistant qui commence à s’établir. Il milite ensuite quelques années en France, avant de retourner en Algérie.
Un combattant respecté du FLN
1955, nous sommes alors en Kabylie. Le groupe du FLN basé sur place connaît une période difficile : leur chef, Amar Ait Chikh, vient d’être assassiné par une unité militaire française. Ce sont des combattants découragés et un maquis bien affaibli que trouve Amirouche lorsqu’il décide de rejoindre le FLN cette année-là. On supposerait que ce dernier fut démoralisé par cette ambiance atterrée, mais il n’en est rien… Amirouche fait preuve d’un leadership poignant. Il réorganise les troupes avec l’aplomb d’un chef, alors qu’il vient à peine de rejoindre le maquis. Amirouche exerce une telle autorité sur les maquisards qu’ils lui demandent eux-mêmes de récupérer la place de leur chef. Amirouche accepte.
Krim Belkacem, chef de la Wilaya III, est sceptique à l’idée de voir un jeune prendre un commandement militaire sans avoir été nommé par la hiérarchie. Il propose alors à Amirouche un rendez-vous seul à seul dans les montagnes du Djurdjura. Pour Krim Belkacem, le simple fait d’arriver à temps à ce rendez-vous situé au sommet des montagnes ardues de Kabylie constitue déjà un test physique et mental, censé prouver les qualités d’obéissance et de “coureur de djebels” du jeune chef. A la grande surprise de Krim Belkacem, Amirouche n’arrive pas à l’heure mais avec quatre heures d’avance. Le chef Belkacem reconnaît alors à son cadet des qualités physiques exceptionnelles, et un caractère décidé, infatigable et dur. Krim Belkacem n’en était pas au bout de ses surprises, car Amirouche lui présente un ensemble de rapport rédigé avec soin, d’une remarquable précision. Ainsi la défense d’Amirouche fut tellement solide que son arrivée au pouvoir finit par réjouir le chef de la Wilaya III.
Le travail d’Amirouche fut alors d’une efficacité saisissante. En quelques mois, il se glisse au rang de principal adjoint de Krim Belkacem, soit second de la wilaya III. Le 20 août 1956, Krim Belkacem lui confie la grande responsabilité d’assurer la sécurité de l’historique Congrès de la Soummam. Une mission qui n’est pas des moindres car ce congrès clandestin constitue la structure de la révolution algérienne et regroupe dans un petit périmètre les principaux acteurs de la résistance.
Krim Belkacem pouvait se féliciter du flair qu’il eut six mois plus tôt en pariant sur le jeune Amirouche qui dut devenir bien vite son meilleur lieutenant. En effet, les volontaires affluaient massivement au maquis d’Amirouche tant celui-ci avait bonne réputation. Abane Ramdane lui-même, l’architecte de la révolution, désigne le maquis d’Amirouche de “maquis modèle”. Amirouche était surnommé “le loup de l’Akfadou” ou parfois même “Amirouche le terrible”. Il était autoritaire, dur, psychorigide, parfois même brutal et mettait en place une réelle politique de guerre psychologique. Malgré son tempérament intraitable, Amirouche était extrêmement respecté. Il était aussi dur pour lui-même que pour les autres, et partageait entièrement la vie des autres combattants, des missions les plus glorieuses aux corvées les plus ingrates. Durant l’été 1957, Amirouche est nommé colonel de la Wilaya III.
Cette réputation qui semblait faire l’unanimité ne dure malheureusement pas longtemps. Très vite, les avis se polarisent autour du colonel Amirouche. Il est génie militaire pour les uns et meurtrier craint par les autres, une opération ne tardera pas à jeter le trouble : il s’agit de la “bleuite”.
Un chef mis à mal par les services secrets français
La bleuite (1958-1959) est une opération d’infiltration montée de toute pièce au sein même du FLN, finement dirigée par les services secrets français. L’objectif est simple et monstrueusement efficace : il s’agissait de faire croire qu’il existe un complot contre-révolutionnaire au sein même du FLN, et que certains membres travailleraient en réalité pour l’armée française. Cette opération d’infiltration est réussie car bien vite Amirouche est persuadé de l’existence de taupes parmi les siens.
Il accorde son soutien total à Ahcène Mahiouz (surnommé Hacène la torture) dans la mise en place d’un système de purge infernal visant à éliminer toutes celles et ceux qui pourraient être des “traîtres”. Les arrestations massives, aveux forcés, tortures, dénonciations calomnieuses, liquidations, plongent les rangs du FLN et la Wilaya III dans la méfiance. Durant cette épuration massive, 2 à 6 mille membres du FLN perdront la vie, dont la majorité étaient des intellectuels, étudiants, collégiens, médecins et enseignants.
Cette opération fut plus sanglante que les combats eux-mêmes et conduira beaucoup de militants à se rallier à l’armée française pour se protéger des soupçons de trahison. Amirouche, complètement aveuglé par la peur du complot persiste et prévient également les chefs des autres Wilaya dans une circulaire : “J’ai découvert des complots dans ma zone, mais il y a des ramifications dans toutes les wilayas. Il faut prendre des mesures et vous amputer de tous ces membres gangrenés, sans quoi, nous crèverons !”
Plus tard, Amirouche reconnaîtra que 20% des exécutés étaient innocents, et que le piège vicieux des services secrets français les a fait commettre une erreur. Cependant, Amirouche place pour objectif ultime la libération du peuple algérien, peu importe le prix. « La révolution ne commet pas d’injustices, elle fait des erreurs. Pour éliminer la gangrène, il faut couper jusqu’à la chair fraîche. En tuant les deux tiers des Algériens, ce serait un beau résultat si l’on savait que l’autre tiers vivrait libre. »
Le 6 mars 1959, Amirouche se lance dans un voyage d’Akfadou à Tunis, pour rencontrer le GPRA (Gouvernement Provisoire de la République Algérienne). La durée du voyage est indéterminée. Amirouche étant l’un des plus grands ennemis de l’armée française, chaque seconde de ce voyage est d’un danger imminent. Il est accompagné de Si El Haouès (chef de la wilaya VI), du Commandant Amor Driss et de 40 djounouds (combattants de l’Armée de Libération Nationale). Mais alors qu’Amirouche approche de la frontière tunisienne, il est trahi. Un informateur, encore inconnu à l’heure d’aujourd’hui, transmet sa trajectoire et les horaires exactes du voyage aux français. Le 28 mars 1959, l’armée française l’attend au tournant. Au sud de la ville de Boussada, le Colonel Ducasse tend à Amirouche et ses combattants une embuscade. Pas moins de 2 500 soldats français attendent les 40 djounouds. Le combat est sanglant, violent et inégal. Au décompte, on retrouve 5 prisonniers et 35 morts algériens. Parmi les cadavres se trouvent celui de Amirouche et de Si El Haouès. Leur mort est un grand événement pour l’armée française et en l’espace de quelques minutes, leurs cadavres sont entourés de journalistes, photographes et militaires qui se hâtent de photographier l’événement.
(archive de l’INA, vidéo de la mort de Amirouche – attention : son cadavre est filmé).
Les corps des deux hommes sont embaumés et récupérés par l’armée française. Cette dernière fera imprimer des milliers de tracts libérés dans toutes les wilaya par avion avec le message suivant: « Le chef de la wilaya III, Amirouche, le chef de la wilaya VI, Si El Haouès, sont morts. Quittez ceux qui vous conduisent à une mort inutile et absurde. Ralliez-vous ! Vous retrouverez la paix ! »
Pendant des années, les dépouilles de Amirouche ont été gardées secrètement dans une caserne à Alger, sous l’ancien président Houari Boumediène. Si ce mystère autour des dépouilles avait été si bien gardé, c’était aussi car Amirouche était un personnage controversé. Le fils d’Amirouche dénonce cela publiquement le mercredi 18 juillet 2012 sur la chaîne de télévision Ennahar TV. Son acharnement et la place importante qu’a occupé son père dans la révolution ont encouragé le Président Chadli à ouvrir une enquête en 1981. Cette investigation a porté ses fruits puisque les corps des deux chefs sont retrouvés et ont finalement été enterrés au cimetière d’El Alia en 1983.
Amirouche, bien que loin de faire l’unanimité, sera enfin commémoré en Algérie comme l’une des plus grandes figures de la guerre d’Indépendance, comme un symbole de liberté, figure mythique de combativité, de courage et de rigueur. Une statue est érigée en son honneur dans le Djurdjura à Aïn El Hammam, en Kabylie. Le légendaire chanteur et poète engagé Matoub Lounès lui dédie une chanson à titre posthume. L’un des chants emblématiques du hirak, la révolte populaire algérienne qui a commencé en 2019, évoque également Amirouche. On y entend les manifestants chanter en darija dans les rues : « Nous sommes les enfants d’Amirouche, nous ne ferons pas marche arrière. Nous demandons, nous demandons, nous demandons la Liberté. »
– Par Mélissa