L’hymne national algérien a été rédigé par le poète Moufdi Zakaria. Figure du mouvement national, son souffle est toujours là, l’aéroport de Ghardaïa porte son nom. Un symbole pour cet homme qui a passé sa vie en exil. A travers une lettre destinée à son petit frère, Nouha dresse son portrait.
« Cher Zakaria,
Je t’écris aujourd’hui pour te parler de ton homonyme, celui qui a, en partie peut être, inspiré ton prénom. Je voudrais te parler de Zekri Chikh, connu sous le nom de Moufdi Zakaria, le grand poète.
Il faut que tu saches que contrairement à toi, c’est un homme du Sud : il est né à Beni izghen, une ville dans la région du Mzab dans la wilaya de Ghardaya, à l’aube du XXe siècle. Il n’y restera pas longtemps, passées les petites années de l’enfance, il rejoint la côte et la ville rayonnante de Annaba que tu connais par ailleurs. C’est au cours de son adolescence Bonoise qu’il s’initiera pour la première fois à l’étude de la jurisprudence islamique, formation qu’il poursuivra plus tard jusqu’à arriver à la célèbre université de la Zeitouna en Tunisie.
Alors tu vois Zaki, cet homme issu d’un milieu très traditionnel, intéressé par tout ce qui a attrait à la science religieuse se retrouve ainsi bientôt projeté dans le milieu intellectuel tunisois où il rencontre également quelques compatriotes. Alors je ne sais pas toi, mais moi j’imagine aisément les assemblées d’étudiants, autour d’un thé, conversant sur milles sujets et surement sur leur statut dans cette Afrique du nord sous domination. C’est en cette période de révolte, de soulèvement, cette période où l’appel de la liberté semblait provenir de tout part, dans cette intelligentsia qu’il fait ses premiers pas dans le milieu de l’écriture.
En effet si tu dois savoir une chose sur les jeunes années de moufdi Zakaria c’est son appétence à l’écriture et notamment à l’écriture patriotique. Il collabore alors avec plusieurs revues et développe ses idées de liberté dans la revue el Wifaq en Tunisie dans un premier temps, puis El Hayet et enfin dans les colonnes du journal El Moudjahid lors de son exil jusqu’en 1962. Cela signe du même coup également son entrée en politique. Cet homme aura tôt fait de comprendre que sa plume pouvait être une véritable arme contre le colonialisme inique. De cette façon, alors même qu’il sera ballotté entre l’Algérie, la Tunisie et le Maroc, l’écriture lui donnera toujours la possibilité d’entretenir le lien avec ses frères d’arme et surtout la flamme de la liberté dans le cœur des algériens.
A partir de 1930, de retour en Algérie il intègre l’association des étudiants nord-africains puis le parti du peuple algérien, avant d’arriver au FLN en 1955. C’est cet engagement dans l’opposition politique lui vaudra 5 aller-retours dans les prisons coloniales.
En 1956 il est incarcéré dans la prison de Barberousse, prison qui accueillera les grands noms de la révolution comme Yacef saadi, Djamila bouhired, zohra drif et bien d’autre. C’est au cours de ce séjour qu’il rédige le fameux 9assaman qui deviendra moins d’une décennie plus tard l’hymne de tout un peuple. La légende dit même qu’il l’aurait rédigé avec son propre sang. Légende ou pas ,ces vers lui permettront plus que jamais d’entrer dans la postérité, de rendre connu ce nom et ce visage, au regard franc et savant. Cet hymne sera mis en musique par Mohamed Triki puis par l’égyptien Mohamed Fawzi.
Tu connais cette hymne 9assamane bien sûr, je t’ai maintes fois vu la chanter à tue-tête devant le poste de télévision lors des matchs de l’équipe nationale, peut être que la prochaine fois que tu la chanteras avec tous les supporters du stade, tu penseras à Moufdi Zakaria, chair de poule garantie… Ce chant vient du fond de l’obscurité d’une geôle, dans une époque où la peur, la mort, la répression politique n’était pas de taille à contrer l’amour de la cause, de la patrie, le désir de l’émancipation et de la liberté. Ce chant c’est un cri, une révolte : non on ne sera plus sous aucun joug, notre désir de liberté est plus fort que la répression. C’est encore vrai aujourd’hui, dans les rues d’Algérie et d’ailleurs, certains vendredis après-midi. Moufdi Zakaria a toujours porté l’espoir de la victoire et de l’indépendance, il a toujours cru et s’est toujours battu pour que brillent les idées de liberté et de la souveraineté du peuple algérien. C’est finalement un grand amoureux de l’Algérie, cet amour tu peux encore le lire en consultant le recueil le Feu sacré, dans des poèmes tels que « Épris de l’Algérie »
Peut-être que cela va t’étonner, mais la vision de Moufdi Zakaria est très loin de l’imaginaire collectif actuel (le héros nationaliste de la nation, brillant auteur de l’hymne qui rassemble les algériens). En réalité sa façon de voir la liberté ne se limitait pas au territoire qui s’étend de Tlemcen à Annaba, de Timimoune à Touggourt. Non, lui était profondément humaniste, et avait une ambition avec bien plus de recul, au-delà des frontières tracées par les colons. Et c’est pourquoi, son amour pour l’Algérie, bien que très fort ne sera pas exclusif : il sera aussi connu pour ses poèmes dédiés à la Tunisie (à l’ombre des oliviers), ainsi qu’au Maroc (sous l’inspiration de l’atlas), ces terres de l’exil qui l’accueilleront comme l’un des leurs.
Au fil de mes recherches, il m’est apparu évident que ce à quoi il voulait tendre était un Maghreb uni et libre, il dira d’ailleurs « Ma patrie est l’Afrique du Nord, patrie glorieuse qui a une identité sacrée, une histoire somptueuse, une langue généreuse, une noble nationalité, arabe. » Il sera ainsi, au sein de cette nouvelle Nord Afrique, partout chez lui.
J’espère que tu as saisi la noblesse de celui qui avant toi a porté ton prénom et a participé à la grandeur de la terre de nos ancêtres. Puisses tu connaitre un destin similaire.
Je ne puis terminer sans citer quelques vers que je te dédie :« En chaque endroit, les liens sacrés du sang / Ne me rattachent-ils pas à ton être ? »*
Puissions-nous être toujours rattachés,
A très bientôt petit frère,
Nouha »
*extrait de « Épris d’Algérie » , Le Feu sacré .