L’amour, la fantasia

Publié le 23 avril 2020

“L’amour, la fantasia” est un roman écrit par Assia Djebar en 1985. C’est la recommandation de la semaine de Mayssa.

Grande écrivaine algérienne francophone, Assia Djebar de son vrai nom Fatma Zohra Imalayene est membre de l’académie française. Née en Algérie (1936), elle poursuit des études supérieures de lettres en France en passant par l’Ecole Normale Supérieure des jeunes filles (Sèvres). Après avoir enseigné quelques années, elle soutient une thèse sur sa propre œuvre (1999). Elle est par la suite élue à l’académie française (2005), une première pour une auteure nord-africaine.

Plusieurs de ses romans, poèmes ou nouvelles se placent durant la colonisation en balayant différents thèmes sous l’angle de la fiction : l’histoire, la mémoire, la lutte armée, la féminité…

Aujourd’hui, on vous présente un roman majeur dans le genre L’Amour, la fantasia, qui raconte l’histoire d’une jeune fille algérienne côtoyant les enfants des colons à l’école, puis la vie d’une femme dans la guerre des décennies plus tard. Ces récits sont entrecoupés de parties historiques davantage documentaires sur l’histoire algérienne depuis 1830 jusqu’à la guerre de libération. C’est, d’après des critiques, son roman le plus abouti.

L’Amour, la fantasia (1985)

Emouvant roman historique – sans doute parfois autobiographique – de l’aube de la conquête coloniale à la guerre de libération, L’Amour, la fantasia alterne descriptions historiques minutieuses et scènes de fictions digne des plus grands romans. De tranches de vies de jeunes filles algériennes et françaises à l’émotion et la trahison de la prise d’Alger, le ton change d’un chapitre à l’autre ; de la neutralité presque journalistique au « je » personnel, et à la fois « je » de toutes les femmes algériennes, offrant ainsi un rythme haletant à cette œuvre.

Les deux premières parties du roman nous présentent des évènements majeurs de la conquête : la prise d’Alger en 1830 et les enfumades du général Saint-Arnaud dans le centre ouest algérien (dont la tribu des Ouled Riah du Dahra voir article).  Alger prise, Alger perdue, Alger trahie, Alger violée… Assia Djebar nous dresse un récit douloureux et dégoûtant par la réalité des faits relatés mais vif et passionnant par son talent de narratrice. Quant aux terribles enfumades décimant des tribus entières, l’auteure ne s’encombre pas de figures de styles et de détours littéraires : elle nous offre un exposé brut de l’horreur, de la violence de l’histoire : la barbarie coloniale à l’état pur.

La suite du roman est articulée en mouvements, comme une danse tribale où s’enchainent les pas, dans une chronologie floue, une transe, en s’extrayant de l’horreur coloniale pour rejoindre un autre espace temporel (lire Les damnés de la terre, Frantz Fanon). Elle nous propulse vers la révolution, la guerre de libération où les femmes sont à l’honneur : au front d’une part, à la maison hébergeant et nourrissant des moudjahidines de passage dans leur foyer, prenant tous les risques nécessaires à la libération de la patrie. Véritable hommage aux femmes dans la guerre, veuves, sœurs et mères éplorées mais avant tout combattantes. Des histoires où s’entremêlent amour, viol, séduction dans une mer d’émotions confuses, contradictoires et perturbantes, d’incompréhensions, de frontières morales poreuses…

En somme, Assia Djebar signe là un chef d’œuvre bouleversant, à la fois instructif et passionnant, mais aussi difficile à lire par sa fidélité à la réalité.

Par Mayssa. B

La Fantasia ou le «Jeu de la poudre» (laâb al baroud) est un art équestre traditionnel d’inspiration guerrière, très ancien en Afrique du Nord.
La pratique consiste en une simulation d’assauts militaires. Les cavaliers, munis de fusils à poudre et de montures ornées tirent un coup de feu synchronisé en fin de course. C’est la répétition de deux mouvements de cavalerie de guerre : la charge foudroyante (el Kerr) et la retraite instantanée (el Ferr).

Photos : Nadjib Rahmani, festival national de la Fantasia, Relizane, Algérie