Résistante, guerrière, combattante kabyle, Lalla Fatma N’soumer est un personnage clé de la lutte contre la colonisation française en Algérie. Une légende dont Fatna dresse aujourd’hui le portrait.
« Nous faisons partie de cette montagne, nous sommes comme les pierres et les rochers qui la composent. Tôt ou tard, vous partirez et nous, nous resterons. » – Lalla Fatma N’Soumer au Général Randon (extrait de Lalla N Ouerdja La Révoltéede Saadoun Slimane)
C’est en 1954 que commence la guerre d’Algérie pour l’indépendance. Mais dans certains esprits, la guerre, ou plutôt la rébellion, avait commencé bien avant cela. Peu connues sont les figures qui y ont prêté leurs souffles. L’année de naissance de Lalla Fatma N’Soumer va déterminer le cours de sa vie. Elle vient au monde en 1830, début de l’occupation française en Algérie. Cette occupation avance très vite, bientôt, c’est pratiquement tout le pays qui est colonisé. Mais une région demeure résistante à cet ennemi étranger, on la trouve au Nord, c’est la Kabylie. D’après Jacques Frémeaux, historien spécialiste de l’Algérie et de l’histoire coloniale, la Kabylie doit sa résistance à son paysage naturelle. La région, dotée d’un massif montagneux, rend très difficile l’avancement des français. Mais M. Frémeaux parle aussi d’un autre facteur, les Kabyles, qu’il décrit comme étant une population guerrière. Et comment ! La vie de Lalla Fatma N’Soumer nous en donne la preuve.
Lalla Fatma N’Soumer, de son vrai nom, Fatma Sid Ahmed, nait à Ouerdja, dans le massif du Djurdjura, en Kabylie au sein d’une famille très respectée et réputée. Son père est enseignant coranique et elle voit en lui tout ce qu’elle désire devenir. Les cours étant principalement réservés aux jeunes garçons, elle arrive néanmoins à les suivre en écoutant discrètement. Son attachement à sa religion et à sa culture ne fait que croitre et à la mort de son père, elle prend la tête de l’école coranique avec son frère. Elle aurait ensuite été mariée de force à son cousin, union à laquelle elle ne se résigne pas. Le mariage en général ne l’intéresse guère, Fatma semble déjà s’inquiéter du sort de la Kabylie et souhaite se consacrer à la protection de sa terre. En effet, entre 1845 et 1847, les français commencent à encercler le massif Kabyle et la menace d’une occupation proche et violente se fait sentir.
Ce rejet du mariage lui vaudra le surnom de Fatma N’Ouerdja, un terme utilisé chez les kabyles pour décrire les femmes qui refusent de se conformer à certains usages et à certaines traditions. C’est aussi une manière de décrire ces femmes qui, au lieu d’embrasser un rôle domestique, préfère se dévouer à la réflexion, aux activités intellectuelles, et parfois même, au combat et aux luttes sociales. Elle quitte donc son mari après un mariage non consommé et part rejoindre sa famille à Ouerdja puis son frère au village de Soumer vers 1850.
C’est à Soumer qu’elle se trouve une place et rejoint la résistance. Elle devient très vite appréciée des villageois du fait de son intelligence, son attachement à l’aumône aux pauvres, sa piété etc. Un nouveau nom lui est donné : Fatma N’Soumer. Les actions de Fatma sont diverses, elle soutient les soulèvements, gère les rations alimentaires, rassemble et dirige les nouvelles recrues venues d’autres villages kabyles etc. Elle fait la rencontre de Boubaghla, résistant proche de l’émir Abdelkader, réfugié en Kabylie pour fuir l’arrestation en Algérie occupée. Rapidement, elle s’impose comme une vraie stratégiste et planifie maintes et maintes embuscades et guet-apens contre les troupes françaises.
Quelle foi, quel courage et quelle déterminaton il faut avoir pour oser se confronter à un ennemi supérieur en nombre et en armes ! Mais Fatma N’Soumer sait bien que les armes et le progrès technique ne sont en aucun cas les déterminants des conflits. L’amour que les kabyles ont pour leur pays est bien plus fort et bien plus puissant.
C’est en 1854, 100 ans avant le début de la Guerre d’Algérie, que le pays est béni par une grande victoire. Une victoire atteinte par les résistants et résistantes kabyles menés par une jeune Fatma N’Soumer âgée de 24 ans seulement.
La bataille du Haut Sebaou d’une durée de 2 mois, de juin à juillet 1854, est une humiliation, une source de frustration et d’incompréhension pour les français. La victoire des kabyles oblige les troupes à battre en retraite. Comment une armée de 8 000 soldats armés jusqu’aux dents peut-elle se défaire face à des tribus berbères menées par une femme ? Les Kabyles, eux, célèbrent ce bilan avec des chants et des larmes de joie. Cette victoire assure l’indépendance de plusieurs villages de la région.
La réputation de Fatma N’Soumer se fait connaitre dans toute l’Algérie. Son nom est désormais précédé par le titre honorique « Lalla » par respect. Les français la surnomment « la Jeanne D’Arc du Djurdjura » et la « prophétesse ». Il est dit que Lalla Fatma N’Soumer faisait de nombreux rêves interprétés comme des messages de Dieu, lui rappelant à elle et au peuple kabyle, leur devoir face à l’envahisseur.
« La sainteté de la prophétesse est universellement connue (…) elle sait (…) conjurer tous les périls, et peut, s’il lui plaît, faire reculer l’invasion française ! » – Émile Carrey, 1857
Sa figure et son attitude sont aussi acclamées. « Seule la prophétesse, formant disparate avec son peuple, est soignée jusqu’à l’élégance. Malgré son embonpoint exagéré, ses traits sont beaux et expressifs. Le kohl étendu sur ses sourcils et ses cils agrandit ses grands yeux noirs. (…) Elle porte des bracelets, des épingles, des bijoux plus qu’une idole antique. »– Émile Carrey, 1857
Quelques mois après la bataille du Haut Sebaou, en décembre 1854, Boubaghla meurt et Lalla Fatma N’Soumer tente de réunir les troupes restantes afin d’assurrer la continuité du combat. Elle dirige la brigade des « Imsemblen », les volontaires de la mort.
Côté français, le principal antagoniste au soulèvement kabyle est le maréchal Randon. Fortement impactés par la défaite subie par leur armée, les français vont rassembler tous les efforts possibles pour récupérer leur retard dans la conquête de la région. Ils reviennent à la charge très vite, de grands noms sont mobilisés dans cette chasse à la Kabylie comme le général Mac Mahon, futur Président de la République Française. Même si la résistance berbère est forte, le maréchal Randon remporte une victoire décisive à Aït Iraten après la bataille d’Icheriden en 1957. La Kabylie est conquise et Lalla Fatma N’Soumer est capturée par le général Joseph Vantini, dit « Yusuf ». Elle est amenée au campement français, emprisonnée puis gardée en résidence surveillée à Beni Slimane à Tablat.
« Fatma est une espèce d’idole, d’une tête assez belle mais tatouée sur tout le corps et d’un embonpoint tellement prodigieux que quatre hommes ne pouvaient l’aider à marcher…tous les soldats criaient « Place à la reine de Pamar » et faisaient sur son compte milles bonnes ou mauvaises plaisanteries. Le lendemain on lui rendit la liberté mais du moment où elle est entre nos mains, toute résistance cessa. » – Georges Duby, spécialiste de l’histoire des femmes.
La grande guerrière mourra en 1863, 6 ans après son arrestation, à l’âge de 33 ans. Certains disent que la nouvelle du décès de son frère l’aurait chagriné au point d’en mourir, d’autres dénoncent les conditions difficiles de sa détention. Mais sa mémoire est encore vive près de 160 ans plus tard. En 1995, les autorités algériennes transfèrent les restes de la dépouille de Lalla Fatma au carré des martyrs de la révolution d’Alger, officialisant ainsi son statut de résistante nationale. Il est aussi possible d’apercevoir une statue à son effigie à Tizi Ouzou en Kabylie, inaugurée en 2008.
En 2007, à l’occasion de la Journée Internationale de la Femme, l’ex-président Algérien Abdelaziz Bouteflika prononçait un discours dans lequel il expliquait que : « La femme algérienne a, au fil du temps, relevé bien des défis. De Lalla Fatma N’Soumer à Hassiba Boulmerka, en passant par les vaillantes moudjahidate et les femmes martyrs de la tragédie nationale, l’Algérienne a forcé le respect par son courage, sa résistance et son héroïsme. ».
Par Fatna EK