La semaine des barricades

Publié le 1 février 2021

Le 24 janvier 1960, une manifestation fut suivie d’une levée de barricades dans les rues d’Alger. Des Français s’opposent à l’autodétermination de l’Algérie à la suite d’un discours du Général de Gaulle. Pour la première fois durant ce conflit, des Français se dressent contre d’autres Français. Iliès revient sur cet évènement.

Le 19 septembre 1959, le général De Gaulle, premier président de la Cinquième République, proclame un discours sur la « question algérienne » diffusé à la radio et à la télévision. Il suggèrera « un recours à l’autodétermination », reconnaissant la réalité politique qu’induisent les démonstrations des mouvements indépendantistes algériens. Cette allocution admet donc une discussion avec les représentants politiques défendant cette volonté d’indépendance, le FLN. Ferhat Abbas, alors président du Gouvernement provisoire de la République algérienne, déclara « être prêt à entrer en pourparlers avec le gouvernement français afin de discuter des conditions politiques et militaires du cessez-le-feu, des conditions et des garanties de l’application de l’autodétermination ». Quelques semaines plus tard, le Président de la République française réaffirmera les propos tenus lors de son dernier discours à la suite d’une question d’un journaliste. Il ajouta quelques mots aux Français d’Algérie : « Vous, les Français d’Algérie, vous qui avez tant fait, là, pendant des générations, si une page a été tournée par le grand vent de l’Histoire, et bien, il vous appartient d’en écrire une autre. Trêve de vaines nostalgies, de vaines amertumes, de vaines angoisses. Prenez l’avenir comme il se présente et prenez-le corps à corps ».

Pourtant, ce sont bien de fervents partisans de l’Algérie française qui avaient influencé le retour du Général de Gaulle au pouvoir. En effet, alors que la IVè République était en crise avec des représentants rencontrant des difficultés à former un nouveau gouvernement, une manifestation à Alger, suivie d’une grève, éclata le 13 Mai 1958. Elle faisait suite à l’exécution de trois soldats français par l’ALN.  Cette manifestation fut organisée par les Français d’Algérie ; elle mena le groupe des 7, constitués de membres opposés à l’indépendance algérienne, à investir le Gouvernement général (devenu le Palais du Gouvernement après l’indépendance). Appuyé par la 10è division parachutiste et représenté par le Général Jacques Massu, le groupe des 7 forma le Comité du Salut Public.

La foule de manifestants devant le Palais du gouvernement acclama l’ancien résistant en scandant « Vive de Gaulle ». Sous la pression et la détermination du Comité du Salut Public, le Général de Gaulle fut nommé Président du Conseil des ministres pour assurer la transition vers un nouveau pouvoir et pour répondre aux problématiques de cette manifestation.

Portrait de Charles de Gaulle, Premier président de la Vè Républque

Si le Général de Gaulle a pu profiter de ces évènements et des revendications de l’Algérie française, certains se sentirent donc trahis par les suggestions d’autodétermination exprimées le 19 Septembre 1959. Lors d’une interview pour le quotidien allemand Süddeutsche Zeitun,le Général Massu critiqua la politique algérienne du général de Gaulle. Dès le lendemain, ce dernier fut destitué de son rôle de commandant du corps d’armée d’Alger. Une punition qui suscita une forte émotion chez les soutiens de celui étant considéré comme le « vainqueur » de la « Bataille d’Alger ». L’un des membres du groupe des 7, Joseph Ortiz, cafetier d’Alger et fervent défenseur de l’Algérie française, appelle alors à faire la grève le 24 Janvier 1960 afin de protester contre les prises de position du Président de la République. Cet appel fut suivi le 23 Janvier par celui des Unités Territoriales, composées de réservistes de l’armée française et de Pierre Lagaillarde, président de l’Association Générale des Étudiants d’Algérie.

Le lendemain au Forum d’Alger, près de 30 000 manifestants se réunirent face à l’immeuble du gouvernement général. Des barricades se formèrent. Le Colonel de gendarmerie Debrosse réclame la dispersion des foules. L’ordre de charger fut commandé, crosse en avant, afin de disperser les manifestants. Le 1errégiment étranger de parachutistes de la 10è Division intervient pour calmer les foules et aider les gendarmes surpris par ces échauffourées. Bilan officiel de cette manifestation : 22 morts dont 14 gendarmes et une centaine de blessés. Le soir même, Général de Gaulle affirma dans la nuit du 24 au 25 que «l’émeute qui vient d’être déclenchée à Alger est un mauvais coup porté à la France ».

La barricade “Hernandez” érigée par les insurgés rue Charles Péguy à Alger

Le 25 janvier, la grève continue et les militants pro-Algérie française campent derrière leurs barricades, situés près du siège des Unités Territoriales rue Charle Peguy, où J. Ortiz organisa son poste de commandement. Certains ravitaillent les manifestants dévoués aux barricades, sous les yeux des parachutistes parfois laxistes. Pendant ce temps-là, un débat a lieu au sein du gouvernement pour savoir comment répondre à ce problème. Car ici, à Paris, comment justifier la répression d’une manifestation venue de Français défendant les anciens intérêts de leur pays ? Comment inciter les parachutistes à réprimer ceux qui défendent leurs combats ?

Le 28 janvier, Paul Delouvrier, alors délégué général du gouvernement en Algérie, déplace son quartier général en banlieue d’Alger, à Reghaïa. Le lendemain, il diffusera un discours radiodiffusé où il demandera le plébiscite de la part des français pour le Général de Gaulle, afin d’assurer l’unité de l’armée en réclamant le retour de l’autorité du général Challe sur ses troupes :« En rejetant de Gaulle, vous vous perdez, vous perdez l’armée, et la France aussi. En plébiscitant de Gaulle, qui ne demande que vos voix, vous sauvez l’armée et son unité́, et vous forcez la France à vous sauver. Vous gagnerez aussi la guerre d’Algérie, vous allez tuer le FLN (…) vous allez le tuer en déterminant les Musulmans, quand demain, si vous me suivez, ces Musulmans croiront qu’ils sont devenus vraiment nos égaux ». Il profita de cette occasion pour s’adresser directement aux chefs des barricades « Et voilà ce que j’ai à vous dire : je m’adresse à vous tout d’abord, Ortiz, Lagaillarde, et vous, Sapin-Lignières, chef des UT, et tous ceux qui sont enfermés dans la Faculté comme à l’Alcazar de Tolède, prêts à mourir, je crie à la métropole que je salue votre courage, enfants de la patrie. Eh bien Ortiz, Lagaillarde, Sapin-Lignières, et tous les autres, vous allez réussir demain si vous m’écoutez aujourd’hui ». Par ces paroles, Delouvrier espère apaiser les tensions et subordonner les volontés et revendications des manifestants autour du pouvoir du gouvernement français et du Président de Gaulle. Le Général de Gaulle viendra appuyer ces recommandations par un autre discours télévisé dans la même journée, où il soutiendra sa position vis-à-vis de l’autodétermination tout en condamnant les gestes des émeutiers « Mais alors, pour imposer à la France, à l’État, à moi-même leurs prétentions, certains à Alger sont entrés en insurrection. Ils ont tiré sur le service d’ordre. Ils ont tué de bons soldats. Ils se dressent en armes contre l’autorité de la France ».

Plaque commémorative en hommage à un combattant mort pour l’Algérie française

Sous l’influence des propos du gouvernement français, la foule quitta petit à petit les barricades. Des soldats viennent consolider les forces armées de la 10è DP, considérée comme trop poreuse face aux émeutiers. Petit à petit, l’armée va tenter de canaliser et quadriller les barricades afin de limiter son approvisionnement et son soutient par les civils. Se sentant menacé, Pierre Lagaillarde est reclus dans l’Université d’Alger et menace même de « se faire sauter ». Finalement, il accepte la reddition le 1erFévrier suite à des négociations avec Paul Delouvrier.

Reddition des insurgés à Alger 01/02/1960

La semaine des barricades montre la difficulté d’une partie de l’armée et des Français d’Algérie à accepter l’autodétermination du peuple algérien. Une population divisée autour d’une question houleuse. Ces évènements vont planter le décor du Putsch des généraux d’avril 1961…

Iliès