“Chère France, je m’en contrefous de tes excuses”

Publié le 24 janvier 2021

A la suite du rapport Benjamin Stora, le président Emmanuel Macron a déclaré que la France ne s’excusera pas pour ce qu’il avait défini en 2017 comme un “crime contre l’humanité”. Nouha et Farah de Récits d’Algérie s’expriment à ce sujet. 

Chère France, je m’en contrefous de tes excuses et voici pourquoi :

En tant que française, née et élevée dans ton giron républicain tout en retrouvant mes racines, ma culture et mon passé de l’autre côté de la méditerranée, en Algérie, il y a fort longtemps (peut-être même depuis toujours ?) que je me suis désintéressée de cette notion d’excuse de ta part pour les exactions que certains de tes ressortissants ont commis sur les miens, sur la façon qu’ils ont eu de faire couler leur sang qui coule à présent dans mes veines, au nom d’un idéal expansionniste et chimérique d’un empire au-delà des frontières de la métropole. Entreprise par ailleurs organisée et ficelée d’une logique suprématiste et raciste.

La réalité c’est qu’il n’est plus le temps des excuses chère France, aujourd’hui, toute personne qui s’intéresse un tant soit peu à ce pan sombre de l’Histoire ne pourrait objectivement réfuter l’horreur que furent les tortures, les viols, les exactions, les spoliations et l’exploitation qui ont eu lieu de par le monde mais en particulier en Algérie qui, qu’on le veuille ou non, occupe une place tout à fait particulière au sein de cette Histoire contemporaine.

Tes excuses ne changeraient rien, la réalité est là et elle s’impose à nous, elle s’inscrit dans la chair des enfants d’Algérie et dans la conscience et les cauchemars de tes enfants qui se sont retrouvés les bras armés de cette machine destructrice.

Je parle en mon nom quand je dis que j’ai choisi d’épouser cette souffrance, de la prendre à bras le corps et de la porter en fardeau tout au long de ma vie en mémoire de ceux qui ont donné leur sang, leur vie et leur âme sur la terre de mes ancêtres pour m’accorder une dignité que mon statut de « Musulmane Française » ne m’aurait jamais permis d’effleurer. Et jamais je ne déposerais ce fardeau à tes pieds, encore moins contre des excuses. Tout ceci est inenvisageable.

La plaie franco algérienne est à vif depuis presque sept décennies et elle s’est désormais totalement abcédée, de telle sorte que des deux côtés de la méditerranée, les relations sont gelées et c’est le statut quo depuis pratiquement ces sept décennies.

Il y a un principe en médecine qui consiste à drainer un abcès qui entraine une forte incapacité ou qui devient trop important, de peur qu’il n’entraine la nécrose des tissus environnants. A la place du léger pansement que de potentielles excuses pourraient apposer dessus, pansons nos maux à la place et drainons tout cela, nettoyons en profondeur cette plaie, excisons les tissus de mensonges qui se sont accumulés de par les années et mettons à plat l’abcès qui gangrène nos Histoires.

Il n’est plus possible de lire dans nos bouquins d’histoire à l’école le terme « évènements d’Algérie » pour désigner la torture quasi systématique lors des interrogatoires au fil électrique, au feu et à je ne sais quelles autres horreurs, les opposants précipités d’un avion en plein vol en mer, les bombardements au napalm et les viols collectifs.

Il n’est plus possible de parler d’une colonisation qui aurait apporté une forme de modernité, de civilisation, d’infrastructure et de culture, quand l’entreprise coloniale s’est fait une joie d’analphabétiser plusieurs générations et de détruire toute la documentation présente sur place dans les administrations, faisant perdre pour une grande partie d’entre nous, l’histoire de notre généalogie.

Il n’est plus possible de parler de la torture en des termes tellement pudiques dans nos cours d’histoire, en lâchant la seule et unique référence au livre de d’Henri Alleg « la Question » : il y a des témoignages des bourreaux et des victimes très facilement exploitable encore aujourd’hui : étudions-les, apprenons-les et racontons-les.

Cette minimisation de ce qui s’est passé sous les ordres du gouvernement français, à l’apogée du XXe siècle, fait qu’il est possible d’entendre encore aujourd’hui que cette colonisation aurait peut-être au final eu quelques vertus. Ceci est insupportable

D’autant plus insupportable que certains coupables et certaines victimes sont encore là, encore en vie et c’est une opportunité formidable. Alors pourquoi avons-nous constamment l’impression que tu attends que les derniers débris qui constituent la défense de ceux qui ont combattu pour l’Algérie française cassent leur pipe avant d’ouvrir enfin les dossiers en rapport avec cette période ? Il est encore temps de les exploiter, il est encore temps d’établir les responsabilités et, pourquoi pas, rêver d’un Nuremberg à l’Algérienne.

Faisons la paix avec l’Histoire. Nous sommes tous prêts à l’entendre j’ose le croire.

Nouha

En juin 2020, je m’intéressais aux discours présidentiels français depuis 1999 et réalisais cette frise chronologique. Je me posais la question de savoir si E. Macron s’orientait vers cette “repentance” française, sans toutefois en attendre grand-chose.

Aujourd’hui, j’ai ma réponse. Car derrière ce vocable d’une mission mémorielle et réparatrice du passé colonial français, c’est bien la réalité d’un mépris et d’un manque de volonté flagrant à faire preuve de justice envers les Algériens, et une partie de la population française, franco-algérienne.

Bien sûr, il n’en ressort qu’une preuve de plus qu’il faudrait être dupe ou au mieux naïf pour attendre des excuses de  la part de l’Etat français pour avoir perpétré durant 132 années un nombre faramineux de crimes contre l’humanité. La colonisation, certes. Mais aussi ce qui lui a permis de s’instituer : les enfumades, les viols, la torture sous toutes ses formes, la détention arbitraire, l’expropriation…

Toutefois, comme le constate si bien Benjamin Stora, toute une génération se réveille aujourd’hui. C’est la nôtre, c’est nous. Mais cette génération n’a ni l’énergie ni le temps de déconstruire les esprits trop souvent emprunts des vestiges du colonialisme – et parfois même de nostalgie d’une Algérie française. Si c’est ce travail qui fera réaliser à nos politiques qu’ils manquent cruellement de décence et d’humanité, même de justice, alors il ne nous intéresse pas. Il est préférable de dépenser cette force dans l’écriture de notre propre histoire, bien loin des récupérations politiques et des faux-semblants qui animent notre gouvernement. Nul besoin de feinter des volontés de réparation ou d’apaisement des mémoires. Cette histoire, notre histoire, on l’écrira et on la racontera nous-mêmes. Cela prendra le temps qu’il faudra.

D’où l’importance encore de notre projet, Récits d’Algérie…

Farah