“J’ai bien compris que les lieux avaient une histoire, je suis bien étonnée qu’il y en ait une partie qui n’ait pas été dite”, dit une figurante du documentaire Chaâba, du bled au bidonville. Sofiane raconte l’histoire méconnue du Chaâba, et nous invite à visionner le documentaire de Wahid Chaib et Laurent Benitah.
Septembre 2014, baccalauréat en poche, j’entame des études de droit. Une université réputée, un cours de droit civil durant lequel chacun se présente.
Le professeur m’interpelle :
Professeur : – « D’où venez-vous monsieur ? »
Moi : – « De France »
Professeur : – « Voyons, je le sais bien, d’où venez-vous vraiment ? »
Moi : – « Ah pardon, je viens de Villeurbanne, prêt du quartier St-Jean »
Professeur : – « Très bien et vous êtes ? »
Moi : – « Français monsieur »
Professeur : – « Non mais réellement »
Moi : – « Algérien »
Professeur : – « Ah, je me disais, merci »
Un échange surprenant, blessant, mais qui a éveillé une quête identitaire. Mes recherches commencent à partir des éléments connus : je suis né à Lyon, d’origine algérienne d’une commune rurale nommée El Ouricia de la wilaya de Sétif.
« Aujourd’hui, je suis fier de dire que je viens du Chaâba »
Depuis 1940, Bouzid Begag originaire d’El Ouricia travaille en France pour le compte de monsieur Periguet. En 1954, monsieur Periguet cède une maisonnette ainsi qu’une parcelle de 400 m² situées 12 avenue Monin à Villeurbanne, afin que B.Begag puisse loger modestement. En cette période, l’Algérie est une colonie française, la situation est difficile pour la population. Le massacre de Sétif et le massacre de Guelma en 1945 font plus de 10 000 morts laissant des souvenirs atroces. Le peuple est oppressé par les prémices de la guerre d’Algérie symbolisée par l’opposition entre le Front de libération nationale (FLN) et l’armée française. À ce même moment, la France est un pays à reconstruire à la suite de la Seconde Guerre mondiale. Elle profite de la croissance des Trente Glorieuses, les opportunités de travail sont nombreuses.
L’achat de B.Begag permet à ses enfants de le rejoindre. Attirés par ce « rêve français », des amis et des connaissances de la famille rejoignent la famille Begag. Au même moment, la France rencontre une crise du logement. B.Begag ouvre ses portes, une première famille construit un cabanon insalubre sur la parcelle de 400m². Peu à peu, la parcelle de terrain se transforme en bidonville familial regroupant plus d’une vingtaine de familles originaires de la wilaya de Sétif, et chacune possède son abri de fortune.
L’endroit est surnommé le « Chaâba », signifiant trou, cela souligne le fait que le bidonville est isolé. Un isolement également social, les femmes s’occupent traditionnellement du foyer. Les contacts avec l’extérieur se limitent à l’école pour les enfants et le travail pour les hommes qui constituent une main d’œuvre bon marché. Les familles ne comprennent pas le français, leurs espoirs se portent sur leurs enfants scolarisés qui développent des notions de langue française. Néanmoins, les habitants du Chaâba sont appréciés de tous notamment pour leur discrétion, leurs valeurs telles que la générosité et leur pugnacité au travail.
« Le Chaâba n’est plus, mais l’âme du Chaâba demeure »
5 juillet 1962, proclamation officielle de l’indépendance de l’Algérie. Les habitants du Chaâba dont le mentor est Bouzid Begag ont le choix, rester en France ou retourner en Algérie. Les familles inspirant à un avenir meilleur décident de rester en France. 1968, la France lutte contre les habitats insalubres, le Chaâba est ciblé, les familles seront placées dans des habitations à loyer modéré (HLM) dans des quartiers différents (La Duchère, Vaulx En Velin, Villeurbanne…). Le Chaâba n’est plus, mais l’âme du Chaâba demeure. Aujourd’hui, le Chaâba est l’entrée du parc naturel de la Feysinne.
Avec du recul, la personne que j’étais en 2014 remercie ce professeur de droit civil, car aujourd’hui je suis fier de dire que je viens du Chaâba. Maintenant que je sais d’où je viens, je sais où je vais.
Je vous recommande d’aller voir le reportage « Chaâba, du bled au bidonville » de Wahid Chaib et Laurent Benitah, je remercie Wahid Chaib pour le lien privé qui nous permet d’accéder au documentaire. Un immense merci à Farid pour le partage de ce documentaire m’ayant permis de peaufiner ma connaissance sur le Chaâba. L’âme du Chaâba est aussi disponible en version roman, « Le Gone du Chaâba » écrit par Azouz Begag qui a grandit au Chaâba, il est aujourd’hui chercheur au Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS).
Merci à Récits d’Algérie qui nous donne l’opportunité de réaliser notre devoir de mémoire.
Une pensée à tous nos arrière-grands-parents et grands-parents qui bâtiraient des empires avec les moyens dont on dispose aujourd’hui.
Je vous invite pleinement à partir à la quête de vos origines, au plaisir de lire vos témoignages.
« Celui qui ne sait pas d’où il vient ne peut savoir où il va. » – Otto Von Bismarck
Sofiane C.
Vous pouvez visionner le documentaire en cliquant ici.