La recommandation : Au vent mauvais de Kaouther Adimi

Publié le 9 juillet 2023
Kaouther Adimi est une écrivaine née à Alger, qui habite aujourd’hui à Paris ; Au vent mauvais est son cinquième roman. Les œuvres composant sa bibliographie se déroulent entre la France et l’Algérie, en abordant des thèmes liés à l’histoire, la famille, la littérature et la liberté. Ses œuvres sont éditées en France (éditions du Seuil) et en Algérie (éditions Barzakh). C’est la recommandation de la semaine de Récits d’Algérie. Par Mayssa.

Le village

L’intrigue débute en 1922 au village d’El Zahra, pour s’y finir en 1992. Le destin de trois personnages est raconté dans ce roman : Tarek et Saïd, deux frères de lait, l’un berger, l’autre intellectuel et Leïla, leur voisine. Nous suivons leur histoire dès leur naissance, puis leur enfance où leur avenir semble scellé : Tarek s’occupe de ses bêtes, Saïd de ses livres et Leïla de son foyer. Concernant Leïla, ni la pression du village, ni les menaces de son père ne l’empêcheront de mener une vie différente de celle qui lui a été dictée. Quant aux amis, aux frères, dont l’amitié a su résister au départ de Saïd en Tunisie pour ses études, ils seront séparés bien plus tard et pour de moins nobles raisons. 

Les guerres

La vie de Tarek est traversée par de nombreux drames : la pauvreté, la mort de son père, le mutisme de sa mère, puis la seconde guerre mondiale, dans laquelle il a été enrôlé par la France, la guerre d’indépendance où il rejoindra l’ALN dans les Aurès et enfin la décennie noire. La guerre, les guerres, laissera en lui des traces, des souvenirs d’horreurs qui le hanteront de nombreuses nuits. Pour exemple, le tournage de La Bataille d’Alger, sur lequel il travaillera comme « homme à tout faire » lui fera revivre douloureusement les atrocités de la guerre. Après cela, comme de nombreux algériens, il dut travailler en France dans d’affreuses conditions des années durant, et, lors de ses retours au village, trouvait difficilement sa place, comme s’il était en perpétuel exil.

« Depuis ma naissance, c’est comme si un vent mauvais soufflait sur moi, m’emportait, me ballottait, me brusquait et jamais ne cessait de siffler à mon oreille, m’épuisant, m’empêchant de penser, de trouver un refuge pour me reposer. » (p.166 édition Barzakh)

Les mots 

Saïd, devenu écrivain de langue arabe, publiera un roman à succès qui fera basculer la vie de ses anciens amis. Tarek, quand il est loin de sa famille, communique avec elle par télégramme, où les mots sont rares et minutieusement choisis. Quant à Leïla, qui n’a pu aller à l’école à l’époque de la colonisation, a appris à lire seule, sur le tard. Ce qui était pour elle source de joie et de fierté se transforme en ennemi après la parution du livre. Ainsi l’auteure interroge la portée des mots, et la responsabilité des écrivains dans leurs récits. Grande amoureuse de la littérature, elle dépeint sa beauté et sa force dans Nos richesses, mais ici avertit sur son pouvoir potentiellement destructeur. 

« Que la langue arabe, sa langue, son refuge, ait pu la blesser ainsi, la trahir, elle ne lui pardonnerait jamais. » (p.208 éd Barzakh)

Roman intime, familial, fresque historique, Au vent mauvais est pour l’instant le roman le plus complexe qu’ait écrit Kaouther Adimi. Un récit émouvant, sensible, que je ne peux que vous recommander.

Par Mayssa