Pierre Audin et les Mémoires

Publié le 6 juin 2023

Ce dimanche 28 mai, nous apprenions par le biais d’un communiqué de l’Association Josette et Maurice Audin (JMA) la mort de Pierre Audin, fils des deux figures anticolonialistes et communistes. Même si Pierre devait sa notoriété à ses parents, il serait injuste d’effacer et de ne pas honorer sa propre contribution et son long combat pour la justice et la pérennisation des mémoires de la guerre d’Algérie. 

 

LA PERTE D’UN PÈRE

 

C’est à l’âge de 25 ans que Maurice Audin, brillant mathématicien et membre du Parti Communiste Algérien (PCA), perd la vie. En effet, il est soupçonné d’entretenir des liens étroits avec le FLN. Nous sommes alors en juin 1957, en pleine Bataille d’Alger, la loi martiale est appliquée et les militaires français n’hésitent pas à montrer l’exemple pendant leurs arrestations afin de dissuader les révolutionnaires de continuer leurs attaques et de rétablir l’ « ordre ». 

Pierre Audin a seulement un mois quand les faits se produisent. Son père est pris de force par les parachutistes au domicile familial à Alger, pendant la nuit. La famille se voit dire par le capitaine Devis que « s’il est “raisonnable”, il sera de retour ici dans une heure (1)». En réalité, ce sera la dernière fois que les Audin verront leur père/mari. Le corps de Maurice Audin ne sera jamais retrouvé. Pendant longtemps, un mensonge d’État va dominer l’affaire et le général Aussaresses avouera plus tard que Maurice Audin avait bien été tué par les militaires français, « au couteau, pour faire croire que les arabes l’avaient tué (2) ».

Maurice et Josette Audin

UN COMBAT FAMILIAL

La famille Audin, elle, n’a jamais cru à la version officielle. Après avoir déposé une plainte pour enlèvement et séquestration (plainte qui sera sans succès et close en 1962), elle quitte l’Algérie en 1966, quelques mois après le putsch militaire mené par Boumédiène, pour s’installer en banlieue parisienne. Pierre grandit avec sa mère, sa sœur et son frère. Il devient mathématicien comme son père avant lui et médiateur au Palais de la Découverte à Paris. 

En 2004, la JMA est créée se donnant pour mission de « faire vivre la mémoire de Josette et Maurice Audin et leur combat pour l’indépendance de l’Algérie, agir pour faire la clarté sur les circonstances de la mort de Maurice Audin, assassiné en 1957 par des militaires français, favoriser la coopération entre scientifiques français et algériens, notamment par l’organisation du Prix de mathématiques, agir pour le développement de l’amitié entre peuples algériens et français, agir pour l’ouverture des archives ayant trait à la guerre d’Algérie et pour la vérité sur les disparus de cette guerre du fait des forces de l’ordre françaises et lutter contre l’utilisation de la torture dans le monde (3)». 

LA RECONNAISSANCE D’UN CRIME DE GUERRE

La JMA a, pendant des années, cherché à faire reconnaitre de manière officielle et étatique le meurtre de Maurice Audin. En 2012, Josette Audin appelle François Hollande à proposer « non pas des excuses mais une condamnation réelle de la torture et des exactions sommaires » perpétrées par les militaires pendant la Guerre, contre son mari mais aussi contre les autres victimes de ces actes. Le 18 juin 2014, le président de la République reconnait la qualification de meurtre et affirme que Maurice Audin avait perdu la vie durant sa détention. Quatre ans plus tard, le 13 septembre 2018, c’est Emmanuel Macron qui va s’excuser et s’exprimer sur l’affaire en faisant une déclaration, jugée par certains comme historique. Il reconnait au nom de la République française :

 

« que Maurice Audin a été torturé puis exécuté ou torturé à mort par des militaires qui l’avaient arrêté à son domicile » et que « la mort de Maurice Audin a été rendue possible par un système légalement institué qui a favorisé les disparitions et permis la torture à des fins politiques (4) ».

 

La reconnaissance du caractère institutionnel et systématique de ces actes est un grand pas en avant. Ces actes ne sont plus vus comme « isolés » ou « exceptionnels » mais bien comme des exactions plus ou moins habituelles dans le cadre du conflit. Néanmoins, beaucoup dénoncent la faible portée de cette déclaration et l’action encore « timide » de l’État quant à l’accès aux archives, notamment. Cette volonté, Pierre Audin a eu l’occasion de l’évoquer à plusieurs reprises pendant ses échanges avec des journalistes. 

 

L’IMPORTANCE DE LA COLLABORATION SOULIGNÉE PAR PIERRE AUDIN

« La repentance fait partie d’un vocabulaire religieux et ce n’est pas mon vocabulaire. En ce qui concerne les excuses, ce sont surtout ceux qui ont commis les exactions qui doivent s’excuser ou du moins ils auraient dû être poursuivis en justice pour ce qu’ils ont fait. Est-ce que le président français actuel doit faire des excuses au président algérien ? Ce qui est important, c’est la vérité. Ce qui est important, c’est par exemple la déclaration qu’a faite à ma mère Emmanuel Macron. Ce que l’on attendait de lui, c’est qu’il dise un certain nombre de choses, sur la mort de Maurice Audin (5)».   – Pierre Audin pour TV5 Monde

 

Ici, Pierre Audin dénoncait une des principales problématiques de la simple reconnaissance d’État. Une reconnaissance d’État ne règle pas le problème de l’impunité ou de l’anonymat du meurtrier de Maurice Audin. Une reconnaissance comme celle effectuée par Macron, c’est une reconnaissance impersonnelle qui ne garantit pas la prise d’actions concrètes dans le futur afin d’élucider les mystères qui persistent autour de l’assassinat de son père (circonstances de la disparition, localisation du corps etc…). Pour Pierre Audin, l’accent devait être mis sur l’accès aux archives et la collaboration franco-algérienne notamment par l’octroi de visas pour les historiens mais aussi les civils touchés par la Guerre, qui ont le pouvoir de faire revivre les mémoires sur place. 

 

« Cela ne peut être que rendu possible par un accès beaucoup plus libre des archives pour mieux appréhender quelles ont été les responsabilités des uns et des autres. Il faut trouver des coopérations scientifiques, universitaires, sportives… Cette coopération entre les deux pays doit passer par les peuples. Elle ne peut pas se résumer à un seul dialogue entre chefs d’États et de gouvernement ».

 

En ce qui concerne les archives, il ne limitait pas son ambition aux archives gouvernementales mais aussi aux archives privées, détenues par les héritiers des acteurs de la guerre qui peuvent encore dévoiler certaines pistes de réflexion et de recherche afin de mener au mieux la collaboration. Il préconisait la mise en commun des archives des deux pays et leur numérisation. 

 

« Un étudiant ne va pas attendre 3 ans, 4 ans, 5 ans pour consulter un document. Et ce sont souvent les étudiants dans leurs travaux de thèses qui font avancer la recherche historique ».

 

Lorsque TV5 évoquait la possibilité de retrouver le corps de Maurice Audin, Pierre mettait encore l’accent sur la collaboration des gouvernements afin de favoriser l’échange et l’envoi d’historiens et de scientifiques (savoir où creuser, effectuer les tests ADN pour identifier les victimes etc…). 

 

PIERRE AUDIN EN ALGÉRIE

 

Pierre Audin à l’inauguration d’un buste à l’éfigie de son père à Alger (Image AFP)

Pierre Audin avait beaucoup voyagé en Algérie. Pour les 60 ans de l’indépendance, il s’était rendu à la place Maurice Audin à Alger afin d’inaugurer un buste à l’effigie de son père. Au-delà de la famille Audin, cette place est un symbole très important pour les algériens, elle servira notamment de centre principal de rassemblement pour les manifestations du Hirak.

 

A 65 ans, en 2022, il est naturalisé algérien par décret présidentiel et se fait délivrer son passeport après avoir fait une demande à l’ambassade, sa mère ayant acquis la nationalité algérienne dès 1963. Un an plus tard, Pierre Audin meurt d’un cancer à Paris à l’âge de 66 ans, son enterrement a eu lieu le vendredi 2 juin 2023 à Pantin, au carré juif du cimetière. Beaucoup étaient présents, dont l’ambassadeur d’Algérie.

 

(Photo via compte twitter de Hakim Addad)
(Photo prise par Nadir Dendoune, Courrier de l’Atlas)

Dans son communiqué, la JMA déclare que le combat n’est pas encore fini et qu’elle est « plus que jamais déterminée à poursuivre cette quête pour que toute la lumière soit faite sur « l’affaire Audin » et sur tous les crimes commis à l’époque au nom de l’État, en Algérie comme en France ».

 

Il vous est possible de les supporter et de leur faire parvenir des dons via leur site : https://www.association-audin.fr 

Fatna