Le monde entier connaît les balades romantiques de Warda el Jazairia, aujourd’hui Nouha nous propose de découvrir une nouvelle facette de cette diva pleine de surprises. C’est le portrait de la semaine de Récits d’Algérie.
L’exposition qui se tient actuellement à l’Institut du Monde Arabe met à l’honneur les divas du monde arabe et aura été l’occasion pour moi de retrouver une voix à la fois familière et toujours autant saisissante : ma madeleine de Proust, Warda al-Jazairia.
J’ai toujours connu Warda, celle qui chantait avec des trémolos dans la voix les tourments du cœur avec cette fameuse chanson « Haramt ahibek » (je me suis privée de t’aimer) ou « Batwaness beek » (je me réconforte en ta compagnie), avec ses robes tout en strass et son regard ému. Les rythmes romantiques et entrainants, qui fleurent bon les jolies soirées dansantes. Quelle ne fut pas ma surprise en découvrant, au décours de cette exposition, une facette que j’ignorais jusqu’alors : celle de la femme engagée et indépendante. J’aimerais vous conter cette histoire.
Chapitre 1 : la virtuose et le TAM-TAM
Warda Ftouki nait le 22 juillet 1939 à Paris, libanaise par sa mère et algérienne par son père, elle baigne très vite dans une ambiance orientale, artistique et festive dans le cabaret du quartier latin que tient son père : le TAM-TAM (pour Tunisie – Algérie – Maroc). Il devient vite un lieu de rassemblement de la diaspora maghrébine de Paris avec une véritable volonté de créer un lieu de rencontre et de liberté dans une période où les colonies reprennent leur destin en main.
Le Grand Maghreb était initialement le nom destiné à cette scène, mais il sera refusé par la préfecture de police. Nous sommes en 1945 et la politique coloniale s’oppose à cette notion d’union des peuples du Maghreb. D’où le subterfuge du TAMTAM, un mot valise plein de sens et de mutinerie. Warda y croisera bon nombre de virtuoses tels que Farid el Atrache pour n’en citer qu’un. Il n’est pas surprenant que, dès l’âge de onze ans, la jeune artiste se mette sur le devant de la scène et pousse la chansonnette à l’occasion d’une émission de radio. Une étoile est née.
Chapitre 2 : la guerre et l’expulsion
Dans les années 1950 et alors que la guerre d’Algérie fait rage, en France, la résistance des ressortissants algériens s’organise. La jeune Warda donne alors sa voix au service de l’indépendance et reprend dans le cabaret les plus grands chants patriotiques comme « Biladi ouhibouki » (Mon pays, je t’aime), « Min baide » (De loin), « Aid el karama » (La fête de la dignité) et d’autres encore. Son père exploite par ailleurs les locaux du cabaret, un lieu public avec des allées et venues, comme un repère pour les résistants. Bientôt, des armes destinées au front de libération nationale y seront découvertes. Le TAM-TAM est fermé administrativement et la famille fuit la France pour rejoindre le Liban, pays de la mère de Warda et plus précisément le quartier d’el Hamra, lieu de fête de la capitale libanaise.
Chapitre 3 : la Rose arabe, vedette au Middle East
Warda continue de chanter l’amour, la joie et l’Algérie dans les cabarets de Beyrouth. Elle fera la rencontre de Mohammed Abdel Wahab, compositeur de comédies musicales égyptiennes qui l’emmènera avec lui en Egypte. C’est la consécration. Warda entre dans le cœur des égyptiens et de tout le monde arabe. Elle enchaine les succès au cinéma et sur les scènes musicales. Cette voix claironnante séduira bientôt jusqu’au sommet de l’Etat.
Gamal Abdel Nasser, le dirigent égyptien et grand défenseur du panarabisme ne tarde pas à solliciter la diva tellement concernée par la cause de son pays, l’Algérie, pour le soutenir artistiquement dans son grand dessein politique. Celle qu’il surnomme Warda al Jazairia (Warda l’Algérienne) rejoint alors l’opéra panarabe Watani al akbar (Ma patrie la plus grande) au coté des plus grands chanteurs du moment : Abdel Halim Hafez et Fayza Ahmed. Elle se révèlera fervente défenseure de la cause panarabique notamment dans ses interviews, n’hésitant pas à prendre des positions polémiques sur des sujets tels que le Printemps arabe.
Ces positions lui vaudront quelques inimitiés. Warda qui représentait la jeunesse d’antan est perçue par les générations plus modernes comme une antiquité, une époque révolue, un passé bien trop conciliant avec les gouvernements vus comme iniques, au détriment du peuple.
Chapitre 5 : « Biladi ouhibouka »
A l’indépendance en 1962, Warda se rend pour la première fois en Algérie. Un an après la mort de son père, elle foule cette terre tant chérie, tant rêvée et tant chantée. Elle y épousera un officier et abandonnera pour lui les lumières de la célébrité. La rose s’est tue.
Mais en 1972, c’est Houari Boumediene qui décide de la sortir de l’ombre à l’occasion du 10e anniversaire de l’indépendance. Elle prend part à la commémoration de l’évènement avant de divorcer et de partir de nouveau pour l’Égypte. Elle continuera à chanter dans tout le monde arabe et en France, à l’Olympia en 1976.
Chapitre 6 : les pétales de la rose dispersés par le vent.
Le 17 mai 2012, Warda s’éteint au Caire à l’âge de 72 ans. Son corps, à la demande du chef d’Etat algérien, sera rapatrié à Alger, pour reposer en paix, dans le carré des martyrs, au cimetière El-Alia. La procession funéraire verra l’émoi de tout un peuple arabe qu’elle a enchanté et rythmé pendant tant d’années.
Pourtant, alors que la mort semble avoir définitivement avoir fait taire la Diva, le vidéo clip tourné à l’occasion du 50e anniversaire de l’indépendance algérienne sort sur les écrans. On y voit Warda donner comme une ultime recommandation à cette jeunesse algérienne dont elle a tellement espéré et défendu la liberté, entourée d’une foule qui reprend ses mots, et Cheb Khaled et Baaziz qui l’accompagnent pour un ultime hommage.
Le morceau porte le nom de « Mazal wakfine » (Encore debout) :
« Sawt younadi » (une voix appelle)
« Nhabek y a bladi » (je t’aime mon pays)
« Amhan wa mjadi » (épreuves et gloires)
« Achatha djedadi » (vécue par mes aïeuls)
« Nahlefkoum ya wladi » (je vous fais jurer mes enfants)
« Tahmouha bladi » (de défendre mon pays)
« Nhabek ya bladi » (je t’aime mon pays)
Puisse la rose reposer en paix, puissent ses chants fleurir nos joies.
Ecrit par Nouha