Journaliste et maintenant écrivaine, Nadia Henni-Moulaï raconte l’histoire de son père, longtemps tue. Un récit complexe et bouleversant, qui explore secrets de famille et questions d’identités, entre les deux rives de la Méditerranée. C’est la recommandation de la semaine, par Ahmed.
« Ahmed est né en 1925. Il aurait pu être mon grand-père. Maman était gamine pendant la guerre d’Algérie. Tous les deux ont vécu la colonisation, puis la décolonisation. J’ignore si cette proximité avec la grande Histoire est un privilège. Mais, elle a forgé mon rapport à ce monde et la place que j’y occupe. Elle me fait voir d’où je viens : de cette fêlure historique qu’est la colonisation, de cette histoire dont mes parents m’ont transmis les stigmates et les silences. Chaque étreinte, chaque mot, chaque geste porte la marque inconsciente de ce qu’ils furent : des Indigènes puis des résidents français. Je n’ai pas besoin d’écrire ma légende. Elle respire déjà dans le souvenir de notre histoire familiale. »
Il aimait son intimité même s’il désapprouvait plus le désordre qu’il ne chérissait sa discrétion. Tantôt craint, tantôt admiré, dur d’ignorer celui dont la taille n’avait d’égale que le charisme qu’il imposait. Ahmed fait partie de ces pères de famille solides comme des rocs, piliers et clés de voûte du foyer familial. Né en 1925 à Cheurfa en Kabylie, rien ne laissait suggérer de ce daron respecté et respectable, l’itinéraire d’un personnage romanesque. Arrivé en France en 1948, indigène jusqu’à ses 37 ans et acteur de la grande Histoire de l’Indépendance algérienne en s’engageant auprès du Front de libération nationale (FLN). Rien que ça. Ce parcours, Nadia Henni-Moulaï l’explore tardivement. Peut-être pour prendre le temps de considérer la pleine mesure de l’histoire familiale. Sûrement pour en saisir toute la complexité pour ne pas la trahir lorsqu’il s’agira de la raconter et la transmettre « Le mystère de mon père ne s’est levé qu’avec son absence ».
Si le roman est construit autour de la figure paternelle, le récit aborde également la question de la construction identitaire chez les enfants d’immigrés et le rapport alambiqué au pays d’origine. L’auteure évoque ses souvenirs d’enfance, son rapport aux autres et à ses 3 pays : la France, l’Algérie et la Cité (écrit avec « c » majuscule dans le livre). Plus qu’un récit autobiographique, « Un rêve, deux rives », c’est une invitation à explorer son histoire personnelle, interroger ses souvenirs et ceux des siens pour comprendre où se situer dans l’histoire de France. « Fouiller les archives familiales m’a conduit à fouiller celles de l’État. […] J’accède aux archives de la police judiciaire pour ce livre, presque 20 ans après sa mort. J’apprends qu’il a été condamné pour atteinte à la sûreté de l’État, ce qui corroborait quelques archives familiales » déclare l’auteure dans un entretien pour Jeune Afrique. À ce travail d’investigation personnelle, Nadia Henni-Moulaï y ajoute celui d’une historienne en documentant plusieurs faits historiques, dont le soulèvement des Mokrani en 1871. Il y a des ouvrages qui vous parlent, celui-ci fait plus que ça : il vous éduque.
Sur sa bio LinkedIn, Nadia Henni-Moulaï est journaliste politique et « chef » de sa newsletter « La France, on l’aime ou on l’explique ». Pour y être abonné, c’est une bouffée d’oxygène au milieu du brouhaha médiatique et politique quotidien. « Hirak rime-t-il avec diaspora » sa newsletter n°5 (la 12ème est sortie fin septembre 2021) m’avait particulièrement marqué. Extrait : « Mais très vite, je ressens le hirak dans mes tripes. Parce que justement, elles sont algériennes aussi. Je m’écrie aux côtés de mes « concitoyens » dont je suis pourtant si éloignée, mon amour de ce pays, adressé, en creux, à mes aïeux. Je scande le rejet du système, que pourtant, je ne subis pas vraiment. ». Pour la suite, vous savez ce qui vous reste à faire : abonnez-vous !
Par Ahmed