À l’occasion de ce 1er novembre, considéré comme l’acte de naissance du FLN (Front de Libération Nationale) sur la scène internationale, Maïssa revient sur la genèse et les parcours des différents mouvements nationalistes algériens qui ont forgé l’Algérie d’aujourd’hui.
On retiendra de l’histoire le rôle fondamental du FLN dans la lutte pour l’indépendance de l’Algérie. Cependant, leurs actions ont tendance à jeter un voile sur le paysage politique qui anime le pays depuis 1830. L’opposition n’est pas née le 1er novembre 1954, et ne s’est pas cantonnée au FLN. Elle a connu des mouvements de fédération multiples aux noms variés, qui se sont exprimés de différentes manières, avec différents acteurs. Ces derniers ont mené progressivement au déclenchement de la guerre en 1954. Malgré la volonté d’élimination d’un ennemi commun, les tensions intestines viennent gangrener l’organisation interne des mouvements, instaurant des divorces et fractures, léguant ainsi un monopole historique du FLN sur le paysage politique algérien et sur la scène internationale.
Des nationalismes protéiformes aux fins similaires : la libération du peuple algérien
Il ne faut pas attendre la Toussaint Rouge pour observer les premières actions d’opposition au régime colonial en Algérie. Dès 1830 les premières oppositions voient le jour et sont multiples. Cependant, l’Algérie ne connaît pas de soulèvement généralisé. Les Français connaissent quelques défaites, notamment à Blida le 23 juillet 1830, à Médéa en juin 1831 et Bône en septembre 1831. L’opposition se montre forte dans l’est algérien, soutenue par le bey de Constantine qui finit par tomber en 1837. La résistance reste dispersée.
L’émir Abdelkader, de 1840 à 1847, fédère ainsi pour la première fois l’opposition à la conquête derrière la religion, même si la société algérienne se trouve fragmentée par des confréries religieuses multiples. Un deuxième élément vient alors corroborer cette coalition. Dans une lettre aux oulémas de Fès, Abdelkader fait mention de l’expression « watan al-jazâ’ir », traduit par l’historien marocain Abdallah Laroui « patrie algérienne ». Ainsi, les Français doivent faire face à un syncrétisme qui vient vivifier l’opposition. Cependant, cette tentative de fédération est marquée par un échec : l’émir capitule en 1847, mais la résistance survit. Seules ses formes se transforment tout au long du XIXe siècle. L’esprit de thawra (insurrection, souvent traduit par révolution) est affirmé dès 1830.
Il faut attendre le XXe siècle pour observer de nouvelles tentatives de fédération de l’opposition coloniale en Algérie. Le mécontentement gronde en Algérie française, tandis que le régime de l’indigénat ne cesse de restreindre les libertés des Algériens. Le groupe des « Jeunes Algériens » marque l’émergence du militantisme moderne en Algérie. Sur le modèle des « Jeunes Turcs » en exil à Paris, le nom apparaît officiellement en 1907 et se développe en 1911-1912. Les « Jeunes Algériens » se déploient dans des activités associatives, dans la presse, puis basculent vers l’activisme jusqu’en 1936. Leurs positions sont réformistes, étant ouverts à un dialogue avec le pouvoir français pour l’émancipation des populations colonisées. Les « Jeunes Algériens » échouent cependant à mettre sur pied une mouvement social durable, demeurant un mouvement nationalitaire plus que nationaliste selon l’historien Julien Fromage.
L’entre-deux Guerres est alors marquée par la concrétisation de mouvements et partis. Plus que des coalescences, les nouveaux courants nationalistes sont de véritables coalitions. En 1926 l’Etoile nord-africaine voit le jour à Paris, et est directement reliée au Parti communiste. Elle se trouve vivement transformée par celui que Habib Bourguiba, leader tunisien, nomme en 1959 « le père du nationalisme algérien », Messali Hadj, intégrant le mouvement en 1927. Il s’impose rapidement comme la référence de la lutte anticoloniale en Afrique du Nord. Il déclare au Congrès anticolonial de Bruxelles en février 1927 « le peuple algérien qui est sous la domination française depuis un siècle n’a plus rien à attendre de la bonne volonté de l’impérialisme français pour améliorer notre sort ». Il réclame le retrait des troupes françaises d’occupation, la constitution d’une armée nationale, et la création d’un parlement algérien élu au suffrage universel. L’organisation est d’inspiration démocratique et sociale mais très rapidement une tendance religieuse se manifeste par de nombreuses occurrences à l’islam et l’arabisation. Messali Hadj se rend à Alger le 2 aout 1936 dans le cadre du congrès musulman dans lequel il déclare : « Cette terre est à nous. Nous ne la vendrons à personne ! », signant la présence du mouvement indépendantiste en Algérie même. En janvier 1937, l’Etoile nord-africaine est dissoute par le Front Populaire.
En mars 1937 est alors créé le Parti du peuple algérien (PPA) par Messali Hadj. Interclassiste et plébéien, le parti entend se référer au « peuple » comme valeur suprême, à base d’islam et de socialisme. Selon Benjamin Stora, « il entend se distinguer du républicanisme assimilationniste porté par le leader Ferhat Abbas (il prône une égalité avec les Européens dans tous les domaines et opte pour un rattachement administratif à la France et l’octroi de la citoyenneté française à toutes les catégories d’Algériens), et du culturalisme religieux véhiculé par les oulémas du cheikh Ben Badis ». Le parti gagne en notoriété des deux côtés de la Méditerranée.
Messali Hadj est arrêté en juin 1937 alors que son parti ne cesse de s’étendre. Emprisonné, il continue son action politique et approuve notamment le Manifeste du peuple algérien en février 1943 de Ferhat Abbas revendiquant le droit du peuple algérien à disposer de soi tout en souhaitant que l’Algérie soit un État associé à la France et une série de mesures rompant avec le système colonial, par la négociation avec les autorités françaises. Selon Benjamin Stora, le Manifeste réalise ici une prouesse politique en unifiant les partisans de Messali Hadj et de Ferhat Abbas, représentant la majorité politique du peuple algérien, unis derrière la structure des Amis du Manifeste et de la liberté (AML) en 1944. « Pour la première fois, une organisation de masse exigeait l’indépendance et mobilisait avec succès aussi bien les élites sociales et intellectuelles que les couches populaires », écrit l’historienne Malika Rahal.
Cependant, les massacres de Sétif et Guelma le 8 mai 1945 entraînent un tournant majeur dans les nationalismes algériens : la lutte armée devient un principe central entraînant des scissions auprès de coalitions. Ces crises se cristallisent essentiellement en 1954 : l’UDMA (Union démocratique du manifeste algérien de Ferhat Abbas) et le MTLD (Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques de Messali Hadj), tous deux créés en 1946, sont frappés par des scissions idéologiques. Les jeunes militants sont impatients et ne se reconnaissent plus dans les positions de la direction de l’UDMA. Concernant le MTLD, la scission se réalise autour de trois thèmes de discorde : le prolétariat, l’islam, et l’action de masse. Les messalistes d’un côté se présentent comme ouvriéristes et musulmans, tandis que le second groupe se présente comme partisan de la lutte armée, prenant le nom de Comité révolutionnaire d’unité et d’action, qui deviendra le Comité des 9. En octobre 1954, le comité prend le nom de Front de Libération Nationale, et déclenche le 1er novembre 1954 la lutte armée. C’est la Toussaint Rouge qui marque l’acte de naissance du FLN sur la scène internationale.
Guerre d’Indépendance, FLN et luttes intestines
Créé à l’initiative du Comité révolutionnaire d’unité et d’action il est composé par ceux qui deviendront les six chefs historiques du FLN : Krim Belkacem, Mostefa ben Boulaïd, Larbi Ben M’Hidi, Mohamed Boudiaf, Rabah Bitat et Didouche Mourad, rejoints par Ben Bella, Mohamed Khider et Aït Ahmed. Les objectifs du front sont clairement énoncés dans leur proclamation du 1er novembre : « la restauration de l’État algérien souverain, démocratique et social dans le cadre des principes islamiques » par la lutte armée, se dotant donc d’une armée de libération nationale (ALN). Très rapidement, le FLN rallie sous son étendard d’autres mouvements nationalistes tels que les centralistes, anciens membres du comité central du PPA-MTLD au printemps 1955, les modérés de l’ex-UDMA fin 1955. L’historien Gilbert Meynier note que l’assassinat du neveu de Ferhat Abbas, Allaoua Abbas, le 20 aout 1955, a été un avertissement à devoir rallier le FLN, chose faite en novembre de la même année. Le Parti communiste algérien rejoint quant à lui le front en juillet 1956. Ainsi, tous semblent se fédérer derrière les couleurs du FLN, souvent par nécessité, s’accordant derrière un objectif commun, l’indépendance de l’Algérie, et des moyens communs, la lutte armée.
L’historien Gilbert Meynier dénote alors « un peuple à l’unisson d’un FLN pluriel ». La répression française ne cesse de conforter l’arrimage des Algériens au FLN, tandis que la reconnaissance internationale rend légitime et digne la lutte revendiquée par le front de libération. C’est dans le cadre du Congrès de la Soummam en août 1956 que le FLN se dote d’une structure notamment avec la mise en place d’un Conseil national de la révolution algérienne (CNRA) et d’un Comité de coordination et d’exécution (CEE) qui se chargera de mettre en place en 1958 le Gouvernement provisoire de la République Algérienne (GPRA) avec à sa tête Ferhat Abbas.
Cependant, il nous faut faire mention du chemin pris par le Mouvement national algérien (MNA), nouveau mouvement créé par Messali Hadj à la suite de la scission de 1954. Ce dernier décide également de basculer vers la lutte armée sans s’allier au FLN, et multiplie les attentats et les boycottages notamment du tabac et de l’alcool. Mouvement aux objectifs communs avec le FLN, les différences sont alors caractérisées comme marginales par l’historienne Malika Rahal. En outre, c’est une lutte pour l’hégémonie qui s’assoit en Algérie entre les deux groupes, initiant une guerre fratricide. En Kabylie, l’affrontement prend une forme militaire, à Alger celle de règlement de compte. Il s’exporte en France dès 1956. Mohamed Harbi élève le bilan global de cette guerre fratricide à 12 000 agressions, 4000 morts et 9000 blessés en France. Les chiffres en Algérie restent méconnus.
Le dénouement permet à l’Algérie d’obtenir son indépendance à la suite des accords d’Evian signés entre le GPRA et le gouvernement français le 18 mars 1962. Mais c’est un dénouement qui est aussi marqué par une nouvelle scission au sein du FLN, entre les hommes d’État du GPRA et les hommes des casernes de l’armée des frontières. Ainsi, l’été 1962 est marquée par une campagne militaire contre les maquis de la wilaya 4, symptôme du triomphe de l’appareil militaire et l’exclusion des politiques. C’est l’ « indépendance confisquée », écrit Ferhat Abbas.
En cette commémoration de la Toussaint Rouge, il est important de célébrer l’affirmation d’une nation algérienne face à l’impérialisme français depuis les premiers pas de cette opposition en 1830, tout en n’oubliant pas la complexité d’une situation politique algérienne, qui ne peut faire fi de ses guerres intestines, qui ont forgé malgré elles l’Algérie contemporaine.
– Maïssa
Pour aller plus loin :
- Abderrahmane Bouchène éd., Histoire de l’Algérie à la période coloniale. 1830-1962. Paris, La Découverte, « Poche / Essais », 2014.
- Carlier Omar, Entre nation et Jihad. Histoire sociale des radicalismes algériens. Paris, Presse de Sciences po, 1995.