L’Émir Abdelkader, premier résistant contre la colonisation française

Publié le 10 octobre 2020

Aujourd’hui, Iliès dresse le portrait de l’émir Abdelkader, grande figure algérienne de la résistance contre l’occupation française. 

Abdelkader ibn Muhieddine, aussi connu comme Abdelkader El Djezairi, a mené une période de lutte et de résistance intense envers la royauté française. Il a effectué cette mission en défendant une identité maghrébine et musulmane, en déclarant le Jihad en tant qu’Émir et Commandant des Croyants, élu par les tribus de sa région. Résistant reconnu par ses ennemis français comme le Général Desmichels, il deviendra même l’un des proches de Napoléon III après sa captivité en France lors de son exil à Damas. Exil où il gardera un rôle politique et intellectuel important.

L’invasion de la Régence d’Alger par les Français se déroule dans un contexte de politique intérieure défavorable pour le roi français Charles X, souverain durant la restauration (1824-1830), qui va chercher à recréer l’image d’un pouvoir fort à travers cette expédition.

Abelkader, fils de Zohia et Muhieddine Al Hassani est né en 1808, dans la willaya de Mascara. Son père, lié à la généalogie du prophète (sws), est chef d’une confrérie soufi, la Quadirriya. Sous l’influence de ses parents, le futur émir pris gout à l’éducation religieuse. A ses 14 ans, il fut capable de réciter le Coran par cœur, son père l’envoya alors approfondir son savoir à Oran afin d’étudier les sciences.

Dû à sa maturité, Muhhiedine privilégia Abdelkader plutôt que ses fils ainés afin de réaliser le Hajj (pèlerinage à la Mecque) en 1827 avec tout une escorte de cheikh de la région tout en visitant diverses villes importantes du monde Arabe de l’époque. Ainsi, il découvrit Tunis, Alexandrie, Le Caire, Damas et Bagdad, différentes villes comprenant un brassage de culture et de population qui éblouirent Abdelkader.

La Résistance

De retour dans sa région natale, Alger est touchée par une crise diplomatique avec la France. Anciennement fournisseur de blé sous le directoire, Dey Hussein, délégataire du pouvoir ottoman sur la régence d’Alger, se trouva mécontent du non remboursement de ses services. Une crise diplomatique éclata entre le Dey d’Alger et Charles X. Cette crise justifia l’invasion d’Alger par l’armée française. Suite à cet évènement, Muhieddine, au vu de son influence, rassembla les différents chefs des tribus de sa région pour entamer la résistance en 1832. Le père du jeune homme, voyant son âge avancé comme un poids, refusa le titre de Sultan qu’on lui accorda. L’assemblée désigna alors Abdelkader, au vu de son savoir et son charisme ; il reçut le titre d’Émir et Commandeur des Croyants.

La résistance se formant dans l’Ouest Algérien, les premiers contacts entre l’armée de l’Émir et les français eurent lieu près d’Oran. Il signa d’ailleurs en 1834, le Traité Desmichels. Ce traité intervient à un moment où le Général Desmichels, après avoir mené des razzias sur les tribus de la région oranaise, et suite à une disette à Oran, préféra discuter avec l’Émir plutôt qu’avec le pouvoir ottoman pour pacifier la région. Ce traité met fin aux hostilités entre population arabe et française, ré-ouvre les routes commerciales, mais surtout reconnait Abdelkader comme le Sultan des arabes dans cette région.

Le pouvoir Français, mécontent de ce traité, révoqua Desmichels et relancera sa politique de conquête en Algérie dès 1835. Les différentes victoires de l’Émir face aux troupes françaises du général Bugeaud et Clauzel amènera les deux parties à la signature d’un nouveau traité, celui de la Tafna en 1837. Ce traité est encore plus favorable que celui signé avec Desmichels. En reconnaissant la souveraineté de la France en Afrique, l’Émir Abdelkader devient souverain reconnu sur les deux tiers du territoire algérien.

Mais cette paix ne fut que provisoire, et les hostilités reprendront deux ans plus tard suite au non-respect du traité de la part des français. L’Émir décida alors de déclarer le Jihad, la guerre sainte. Face aux difficultés de consolider une capitale politique et culturelle, Hajj Abdelkader décidera de renouer avec ses traditions bédouines. Pour unir le lien entre les tribus résistantes et lutter contre l’avancée des troupes françaises sur ses terres, il créa la Smalah. Une ville nomade, avec son école, son hôpital et sa bibliothèque. La mobilité gagnée par cette tactique militaire décupla le champ d’action d’Abdelkader, lui permettant de surgir et d’agir à n’importe quel moment.

Plan de la Smalah d’après les indications du Général Daumas

Du côté de l’ennemi, le ton se durcit, Bugeaud est nommé gouverneur général de l’Algérie. Dès 1841, des politiques de terre brulée et de massacre de population sont mis en place par son armée afin d’empêcher un quelconque ravitaillement mais aussi pour faire peur aux autres tribus et villages encore résistants.

Durant 2 années, une escalade de la violence naitra du côté français, n’hésitant pas à s’en prendre aux civils alors même que l’Émir Abdelkader tenu à respecter au mieux les prisonniers de guerre. Un véritable déclin sonna du côté de la résistance malgré tous les moyens mis en œuvre pour continuer le combat. Le 14 mai 1843, le Duc d’Aumale, fils du roi Louis Phillipe, utilisa les renseignements donnés par un traitre connaissant la position de la Smalah. Il en profita pour attaquer, piller et détruire la ville mouvante alors même qu’Abdelakder et son armée s’y trouvèrent. La bibliothèque de l’érudit fut détruite, la population fut emprisonnée, laissant l’Émir sans aucun autre choix que de se réfugier au Maroc. Bugeaud le déclarera hors la loi en 1844, même année où le Maroc est défait lors de la bataille d’Isly. La France interdit tout soutient à Abdelkader sur les terres marocaines. Pourchassé et combattu par le souverain marocain, l’Émir continue à se battre malgré une armée réduite et appauvrie par le contexte.

L’étau franco-marocain se renfermant sur Abdelkader, il n’avait plus d’autre choix que de se rendre s’il voulait protéger ses proches et ses acolytes. Il accepta la reddition le 23 décembre 1847 sous une condition : l’exil à Alexandrie.

 

“C’est un ennemi actif, intelligent et rapide, qui exerce sur les populations arabes le prestige que lui ont donné son génie et la grandeur de la cause qu’il défend. C’est plus, beaucoup plus qu’un prétendant ordinaire ; c’est une espèce de prophète, c’est l’espérance de tous les musulmans fervents.”

 Maréchal Bugeaud, 1er janvier 1846, dans “La vie d’Abd-El-Kader” (1867),Charles-Henry Churchill.

L’Exil

Hajj Émir Abdelkader El Djezairi se rendit au Duc d’Aumale (nouveau gouverneur général de l’Algérie) tout en espérant le respect des conditions passées avec l’ennemi. Encore une fois, la France ne respecta pas ses promesses envers Abdelkader. Entouré de ses proches et ses acolytes de guerre, il fut enfermé en premier lieu à Toulon au fort Lamalgue en 1848. Le pouvoir français craignait une chose : le retour d’Abdelkader en Algérie.

Les prisonniers de guerre ont ensuite été transférés dans le donjon du Château de Pau dans des conditions insalubres. La population, connaissant le respect d’Abdelkader pour ses ennemis (notamment grâce au traitement qu’il accorda à ses prisonniers de guerre durant la résistance), noua une amitié avec ce dernier.

Malgré la nomination de Lamoricière en tant que Ministre de la guerre, anciennement général en Algérie à qui Abdelkader lui promit le respect des conditions de reddition, les prisonniers furent déplacés à Bordeaux puis au Château d’Ambroise.

La France accorda plus de liberté aux prisonniers et le général Bugeaud tenta même de négocier une riche installation en France contre l’abandon d’un retour en terre d’Orient.

Continuant d’attendre son exil, Abdelkader organisa sa vie autour de sa vie spirituelle, en tenant des correspondances et des relations avec des ecclésiastiques français. Suite au coup d’Etat de Napoleon III et sa proclamation de l’Empire en 1852, le nouveau souverain français put décider seul du sort des prisonniers algériens. Abdelkader fut libérable et reçut à Paris par Napoléon III la même année.

Abdelkader protégeant les chrétiens de Damas durant les émeutes de juillet 1860 (Artiste : Jean-Baptiste Huysmans)

Exilé définitivement à Damas en 1855, Abdelkader mènera une vie pieuse et savante. Il édita les livres de son mentor spirituelle Ibn Arabi, grand théologien musulman du XIIè siècle originaire de Damas. Son influence fut telle qu’il réussit à lever une armée pour protéger les chrétiens de la ville durant les émeutes du 9 au 14 Juillet 1860.

Abdelkader put mener une fin de vie paisible à Damas malgré les remords d’une défaite contre un adversaire à deux visages, à la fois colonisateur mais aussi pays des Lumières.  Le chef de la résistance meurt de maladie le 25 Mai 1883 à Damas. Il fut enterré auprès de son mentor soufi Ibn Arabi. S’il est bien le fondateur de l’Etat Algérien, reconnu comme le premier à s’être soulevé contre les forces françaises, c’est aussi comme savant pieux et grand diplomate que l’on peut voir l’image d’Abdelkader dans sa postérité.

Par Iliès B.