La Bataille d’Alger

Publié le 8 avril 2020

A travers une lettre fictive destinée à son amie Mayssa, Nouha nous partage La recommandation de la semaine : le film La Bataille d’Alger.

« Ma très chère Mayssa,

Tu m’as demandé quel était le film parfait à mes yeux et je n’ai pas eu besoin de réfléchir longtemps avant que le titre du film « la Bataille d’Alger » s’impose à moi.

Tu vas me dire que j’exagère surement, tu connais mon penchant pour l’hyperbole et pourtant, toutes proportions gardées, je persiste et signe.

La perfection tient en quelques détails qui pourtant élèvent certaines œuvres au-dessus de toutes les autres. Ce film, ma chère, a été réalisé et présenté au festival de Venise en 1965 et 1966 par le réalisateur Gillo Pontecorvo d’après un scénario imaginé par Franco Solinas et les mémoires de Yacef Saadi en tant que membre de l’armée de libération nationale.

1965, imagine ! l’aube d’une nouvelle nation après une victoire pour laquelle personne n’aurait parié un penny, le bouleversement, la cacophonie, les malles en carton, les départs précipités, le crépuscule de l’empire colonial, la menace de l’OAS(1) qui se terre encore dans les rues de la ville. C’est cette spontanéité filmée caméra à l’épaule, cet air de reportage sur le terrain qui m’ont immédiatement saisie. Et puis le casting, je pourrais te parler longuement de ce casting où beaucoup jouent leur propre rôle, comme Yacef Saadi par exemple, nous pourrions parler également de Ali la pointe, joué par un amateur recruté un peu sur le tas, Brahim Haggiag au talent renversant. Ce personnage emblématique et bagarreur qui bientôt décide de mettre au service de La cause ce caractère flamboyant, cet esprit stratège et cette détermination sans faille : il est, lui et sa moue réprobatrice, le fil rouge du film.

Je pourrais te parler des femmes aussi, un autre pan incontournable de ce film et de notre Histoire, ces femmes qui deviennent porteuses de feu : de la coquette jeune fille en fleur à la jeune maman soucieuse, elles ont aussi joué un rôle tonitruant, à coup d’eau oxygénés dans les cheveux, de tenues citadines et de démarches assurées à travers les barrages militaires, elles s’imposent comme de véritables guérilléras sous couverture, détruisant au passage cet idéal occidentale de la femme emprisonnée sous son hayek blancs (2), passive, la parole et les espoirs murés derrière l’a3djar (2) qui couvre leur visage. Je pourrais te parler aussi des scènes de la vie courante, du mariage émouvant sur les marches des maisons du quartier arabe, des enfants jouant dans les rues, du petit Omar…

Ça ne serait en réalité qu’une succession de périphrase (et tu sais que j’en suis friande) pour te parler finalement de mon personnage préféré : la casbah. La casbah et son dédale de marches inégales, la casbah et ses petites ruelles fraiches, la casbah et son décor pittoresque, la casbah et le patio de ces maisons, la casbah et ses terrasses ensoleillées, la casbah qui se trouve dans un premier temps vulnérable à l’attentat meurtrier rue de thèbes avant de riposter en s’offrant en terrain de guérilla idéal, grouillant du magma révolutionnaire. Car pour les non-initiés comme j’ai pu parfois l’être moi-même des décennies plus tard, elle s’apparente plutôt à un labyrinthe: de quoi faire tourner la tête au général Massu, ce Goliath stoïque et calculateur et ses sbires qui subiront dans cette souricière quelques déconvenues rythmées par la bande son transcendante et froidement mécanique d’Ennio Morricone.

Tu me connais Mayssa, je n’aime pas le manichéisme et je suis contre le pseudo légende nationale qui sert souvent plus à endormir la conscience populaire qu’à éveiller le véritable esprit national. Sache que ce film en est totalement dépourvu et c’est cette justesse, notamment dans la représentation de ce confit complexe des temps moderne, associée à ce timing idéal qui ajoute cette plus-value, qui me fait dire que ce film ne connaitra pas d’égal dans son domaine. Et je ne suis pas à seule à le dire, il sera récompensé moult fois en Italie et outre atlantique. Il servira d’exemple dans l’étude de l’organisation des guerres urbaines au Pentagone et ailleurs.

Enfin, la réaction, très épidermique, de la France face à cette œuvre est à mes yeux également la preuve de cette part de vérité qu’elle nous offre : puisque le film ne sortira en France en salle seulement 5 ans plus tard, avec son lot de menace, d’attentat contre les salles de cinéma etc.. Encore aujourd’hui la rage suscitée par l’évocation de ce film dans une certaine part de la société que je ne citerais pas (l’extrême droite.) me fait dire que la représentation de la torture, des attentats à l’aveugle dans des quartiers populaires surpeuplés, des exécutions sommaires, de la guillotine au zénith du XXe siècle, de la discrimination et de l’injustice dont furent victimes les nôtres et une douloureuse réalité et que souhaiter enterrer cette même réalité n’est finalement qu’un aveu de culpabilité.

Alors oui c’est vrai, certains passages sont à la limite du soutenable et je n’ai pu réprimer mes larmes devant certaines scènes, d’autres me laisseront à jamais meurtrie et pensive, car les exactions sont assez rarement représentées et sont souvent plus subjectives qu’autre chose. Or, nous le savons toi et moi, la réalité de ce que fut cette guerre, ne s’est pas encombrée de tels jeux cinématographiques.

Mais c’est un film que je montrerai à mes enfants sans aucun doute, si Dieu m’en donne, pour que jamais ils n’oublient le sacrifice de ceux qui nous ont précédés, que jamais ils n’oublient la place qu’Alger doit occuper dans leur cœur, que jamais ils n’ignorent le combat de nos aïeuls et le sang qui a coulé entre les pavés de la Bahdja.

En espérant t’avoir donné envie de voir ce film, il me tarde de te voir et de partager ton ressenti

Tu me manques, à très vite !

Nouha »

(1)   OAS = organisation de l’armée secrète est une organisation créée dans le but de maintenir une Algérie française coute que coute notamment pour sa violence et ses attentats

(2)   Le hayek et l’a3djar : Le hayek est étoffe rectangulaire de couleur blanche enroulée et recouvrant tout le corps, l’a3djar est une pièce de tissu plus petite placée au niveau du visage qui le recouvre en partie, ne découvrant que les yeux. Il s’agit de la tenue traditionnelle des femmes algéroises.