“Chronique des années de braise” : Donia nous fait découvrir le premier film algérien ayant remporté la Palme d’or du Festival de Cannes, et le seul à ce jour.
Sorti en 1975, “Chronique des années de braise” est un film de guerre réalisé par Mohammed Lakhdar-Hamina.
Raconter la grande Histoire, celle avec un H majuscule, celle qui s’inscrit dans les livres scolaires, en passant par la plus petite. L’individuelle, qui nous rassemble dans notre solitude. Celle qui nous touche, tous. C’est le pari plutôt osé et franchement réussi du réalisateur algérien Mohammed Lakhdar Hamina, avec son chef-d’oeuvre — oui, on ose l’hyperbole – des Chroniques des années de braise: partir de ce pauvre paysan du Sud algérien, Ahmed, pour dresser un état des lieux précis de la colonisation mais surtout du cheminement spirituel de la révolte des Algériens. Partir d’un cas, pour s’adresser au corps tout entier. Partir d’un exemple, pour en dresser une vérité générale. Avec pour seul but : montrer que la Guerre d’Algérie n’est pas un accident de l’histoire, qui a surgi sans aucune raison, mais bien l’aboutissement d’un long trajet entrepris par tout un peuple contre le colonisateur français. Les Chroniquesracontent les étincelles, les braises qui rougissent, des décennies avant la grande explosion. Le moment où l’histoire s’écrit en secret, où les consciences se politisent, les aspirations démocratiques fusent. Elles éclateront au grand jour, bientôt. Ce moment charnière où la révolte précède la révolution.
Ahmed, un héros « extra-ordinaire »
Il y a tout d’abord des dates, marquantes, qui jalonnent l’intrigue. La première, 1939 le début de la Seconde Guerre mondiale et la dernière, le 1er novembre 1954, le déclenchement de l’insurrection, appelé aussi la Toussaint rouge, menée par le FLN, le Front de Libération nationale. Et entre, quatre tableaux : la défaite de la France en 1940, une épidémie de typhus, les élections de 1947, l’organisation des premiers maquis… Une période marquée par la paupérisation de la paysannerie, l’exclusion des « Algériens musulmans » (les autochtones), dépossédés des terres fertiles par la France. Au coeur de cette fresque, Ahmed, un héros « extra-ordinaire » dans le sens qu’il n’est pas le sauveur sur son cheval blanc, mais un paysan, comme les autres, qui vit cette misère aux premières loges. Il est identifiable, et c’est bien cela sa force : il cristallise les désillusions, les craintes, les questionnements et les colères de tout un peuple, qui finit par se rebeller contre l’occupant mais aussi, et surtout, « contre la condition d’homme », explique Mohammed Lakhdar Hamina. Sans être misérabiliste, les Chroniquessoulignent avec une justesse folle la misère sociale, sanitaire de l’Algérien musulman, exclu du corps dominant.
Ma tribu
Pourquoi parler de ce film et pas d’un autre? Il y a d’abord son importance historique : réalisé en 1975, soit treize ans après l’indépendance, il est le premier long-métrage dirigé par un Algérien. Il obtient la même année le Graal pour tout réalisateur, la Palme d’Or au festival de Cannes, faisant de Mohammed Lakhdar Hamina, le premier cinéaste algérien, que dire arabe, récompensé. Et puis, il y a l’ego. Se dire que nous aussi, malgré les plaies encore ouvertes, saignantes et rougeâtres, sommes capables de créer du beau. Il y a surtout l’histoire personnelle, la mienne. Algérienne du côté de ma mère, pendant longtemps on me parlait de « cette fresque incroyable qui nous raconte, par bribes » assurait ma mère. « La plus grande fierté, made in chez nous », qu’elle disait. Quand elle disait « chez nous », elle ne parlait pas de l’Algérie, mais du cercle familial. Et oui, j’ai appris, après plusieurs visionnages, que ce « grand homme »venait de « chez nous », de notre petite ville, M’sila, qu’il était marié à un de nos proches — à qui? Je ne saurais vous dire — et que par conséquent, c’était « mon grand-oncle ». Que cet homme que je n’ai jamais vu, sauf à l’écran — il interprète l’un des rôles phares dans le film — était l’un des nôtres. Choc. Je me rappellerais toujours le moment où j’ai revu ce film, cette info en tête. J’étais subjuguée, changée. Ma vision avait évolué. Il parlait des miens, des Algériens certes, mais surtout de mon cercle, de ma tribu. On les voyait à l’écran. Chaque obstacle qu’affrontait Ahmed devenait plus douloureux à supporter, chaque étape plus difficile à surmonter. La fiction devenait réalité : cette histoire était la mienne, celle de mon sang.
Une force démocratique libératrice
Je ne dis pas que le film est parfait en tout point : spoiler, il ne l’est pas. Parfois, Mohammed Lakhdar Hamine trébuche, prend le chemin de la facilité… Mais ces imperfections sont le reflet d’une réalité aussi puissante que déroutante. C’est d’ailleurs, l’une des grandes qualités du film : son ancrage dans le concret. Mais ne vous détrompez pas, les Chroniquesn’ont pas la prétention d’être un cours d’histoire. D’ailleurs, ce n’est pas l’intention du réalisateur qui avoue volontiers que son long-métrage « n’est qu’une vision personnelle même s’il prend appui sur des faits précis ». Par sa force salvatrice — car je crois avant tout qu’il est cathartique —, ce chef-d’oeuvre cinématographique met un terme à cette idéologie qui court encore dans les coeurs des « nostalgiques de la colonisation »: la guerre d’Algérie serait l’aboutissement d’une histoire d’amour entre ces deux pays qui auraient tourné au vinaigre. Non. Les Chroniques des années de braisemontrent le pillage, l’exclusion du groupe majoritaire — oui, oui MAJORITAIRE —, la pauvreté, la colère. On imagine le peuple qui vit, épanoui aux manettes du pays et on voit le sous-peuple qui survit, assoiffé d’une force démocratique libératrice.
Par Donia Ismail
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PS: Les films disponibles en entier sur YouTube sont regroupés dans la playlist “FILMS” de la chaîne Récits d’Algérie