Algérie-Palestine : solidarité historique contre l’impérialisme

Publié le 11 octobre 2023

 

Le 7 octobre 2023, le Hamas lançait l’opération Déluge d’Al-Aqsa contre le système impérialiste d’apartheid israélien. Dans l’écho international et médiatique soutenant unanimement Israël, seules quelques voix s’élèvent pour soutenir la lutte décoloniale palestinienne, dont l’Algérie. Aujourd’hui, Maïssa revient sur la longue amitié historique entre l’Algérie et la Palestine à travers des sources exploitées dans le cadre de ses recherches. Les informations partagées dans cet article sont le fruit d’un travail de recherche scientifique et historique. 

 

L’Algérie indépendante et la Palestine : le Fatah à Alger

Le Fatah, acronyme pour harakat ut-tahrîr il-wataniyy il-falastîniyy, est une organisation politique palestinienne créée en octobre 1959 par Yasser Arafat, Khalil al-Wazir et Salah Khalaf 11 ans après l’établissement de l’Etat d’Israël le 14 mai 1948. Le projet du Fatah est dès ses débuts très clair : le rétablissement d’un Etat palestinien, « démocratique non-confessionnel », accueillant à la fois les Musulmans, Chrétiens et Juifs, insistant sur la distinction entre juifs et sioniste. En raison de sa lutte anti-impérialiste, le mouvement palestinien trouve rapidement un soutien algérien qui, dès le lendemain de son indépendance, profite de son statut d’État souverain ayant une influence sur la scène diplomatique pour porter la voix de la lutte. En septembre 1963 les bureaux du Fatah sont ouverts à Alger, avec pour responsable Abu Jihad, et avec le soutien du FLN. 

QG du Fatah, boulevard Mouloud Bel Houchete ex Victor Hugo. Photographie prise lors d’un travail de terrain à Alger, janvier 2022.

“Dans un charmant petit hôtel particulier modern style”, Photographie de Claude Deffarge pour Le Monde Diplomatique, août 1972. 

Cet hôtel particulier art nouveau abritant le Fatah et ses groupes annexes (FPLP, FDLP) témoigne de la haute reconnaissance du statut de la lutte du Fatah palestinien en Algérie. Ce bâtiment criant une identité artistique et politique contraste alors avec la simplicité des logements des autres groupes indépendantistes octroyés par le FLN : l’enjeu pour le FLN n’était pas seulement de parvenir à loger le groupe, il fallait ici bien accueillir des invités de marque ; d’autant plus que la Palestine connait un mouvement migratoire important vers l’Algérie, un mouvement qui concerne à la fois les exilés politiques et les civils : près de 7000 enseignants et 500 étudiants sont accueillis sur le sol algérien de 1965 à la fin des années 1980. Le lieu cédé au Fatah est proportionnel au nombre de Palestiniens accueillis, faisant office d’ambassade pour ces individus. Le soutien est assuré avec ferveur. Le président Ben Bella déclare lors d’une rencontre le 1er mai 1965 : 

« Il faut que l’on sache que l’Algérie ne parle pas beaucoup mais pour ce qui concerne nos frères en Palestine, aucun homme, aucune force au monde ne nous fera changer d’opinion. Israël est un instrument impérialiste. (…)».  

Le président algérien met un point d’honneur à la solidarité aux frères palestiniens malgré l’hostilité de la scène internationale. Son discours fait l’unanimité auprès de la foule algéroise qui se trouve galvanisée. Le soutien à la Palestine est inconditionnel. Alger par cette ferveur et cette fraternité devient un foyer pour le Fatah. Cet hôtel particulier permet une mise en scène idéale du parti, le lieu étant suffisamment grand pour accueillir des journalistes comme l’illustre la photographie de Claude Deffarge. 

Des événements ponctuels en soutien à la lutte palestinienne sont régulièrement organisés, et accueillent une foule d’Algériens venus témoigner de leur fraternité. Cela permet de comprendre que cette solidarité algéro-palestinienne n’est pas seulement le fait de l’État, mais bien de tous et toutes. Dans un article du Moudjahid, dans le cadre de la rencontre censée se tenir le 15 mai 1965 à 17h30 au cinéma du Majestic, il est possible de lire « il est certain maintenant que la salle du « Majestic » sera trop petite pour les milliers de patriotes qui viendront clamer leur opposition au sionisme et à l’impérialisme et leur solidarité ». Le soutien décrit parait titanesque, proportionnel à la publicité qui en est faite. La journée de soutien organisée le 20 décembre 1965 au Majestic rencontre un franc succès. 

A Alger, le Fatah internationalise sa lutte en tissant un réseau de connexions révolutionnaires : le Fatah entre en contact avec des groupes révolutionnaires du monde entier, tous solidaires à la lutte anti-impérialiste. Il participe notamment au festival panafricain d’Alger en juillet 1969, faisant montre de l’universalité de sa lutte chez les pays non-alignés et nouvellement indépendants. 

Affiche du Fatah pour le festival culturel panafricain d'Alger, juillet 1969. "La liberté est une" en arabe, français et anglais.

Affiche du Fatah pour le festival culturel panafricain d’Alger, juillet 1969. “La liberté est une” en arabe, français et anglais.

Centre d’information du Fatah rue Didouche Mourad, à quelques pas du centre d’information des Black Panthers. Alger, juillet 1969. Source : Ted Polumbaum pour le New York Times, 1/11/1969.

Dans le cadre du festival, le Fatah publie le 27 juillet une brochure intitulée To our African Brothers, A nos frères africains, et la conclut par ces mots :

« We in Fateh will not limit ourselves to more political sympathy and support, for Fateh, as a revolutionary vanguard, stands with all revolutionary vanguard struggling in Africa and everywhere for freedom, for exploitation, oppression, racism, and Imperialism, but we say before you is not a political speech, but a promise by which Fateh will abide, because it is really aware of its responsibilities on the revolutionary map of the World. We do not tell any secret when we say that there is now cooperation between Fateh and the fighters in Africa”. 

« Nous, au Fatah, ne nous limiterons pas à plus de sympathie et de soutien politique, car le Fatah, en tant qu’avant-garde révolutionnaire, se tient aux côtés de toutes les avant-gardes révolutionnaires qui luttent en Afrique et partout pour la liberté, contre l’exploitation, l’oppression, le racisme et l’impérialisme, mais ce que nous disons devant vous n’est pas un discours politique, mais une promesse que le Fatah respectera, car il est vraiment conscient de ses responsabilités sur la carte révolutionnaire du monde. Nous ne dévoilons pas de secret quand nous déclarons qu’il y a maintenant une coopération entre le Fatah et les combattants en Afrique ».

Les services de renseignements américains témoignent également par exemple du rapprochement entre le Fatah et le Black Panther Party, mouvement révolutionnaire de libération afro-américaine aux Etats-Unis, présent également à « la Mecque des révolutionnaires » : 

He (Eldridge Cleaver) has also established close ties with Al Fatah, an Arab guerrilla organization, whose leaders have reportedly extended invitations to BPP members to take guerrilla training during 1970.  / Il (Eldridge Cleaver, ministre de l’Information du BPP) a également établi des liens étroits avec Al Fatah, une organisation de guérilla arabe, dont les dirigeants auraient invité les membres du BPP à suivre un entraînement à la guérilla en 1970. 

(National Security Archive, June 1970, Special report interagency committee on intelligence (ad hoc). Chairman J. Edgar Hoover. Declassified per NARA MDR 54284/57678, November 25, 2019. )

Le BPP tisse des liens importants avec le Fatah palestinien dont le local se trouve à quelques pas de celui du BPP rue Didouche Mourad au cours du festival panafricain de juillet 1969. C’est une relation qui leur profite en tout point. Le Fatah utilise alors Alger comme tremplin international. 

Algérie-Palestine : une solidarité continue jusqu’à nos jours. 

   

Le soutien algérien à la Palestine peut être, dès 1962, considéré comme perpétuel et régulier, mais aussi effectif et matériel. L’Algérie participe à l’internationalisation diplomatique de la lutte palestinienne. L’institutionnalisation de la présence palestinienne à Alger par la création d’une ambassade en 1974 n’en est que le début. La même année, l’OLP (organisation de libération palestinienne) est admise en tant qu’observateur à l’ONU grâce à l’intervention d’Abdelaziz Bouteflika, et permet à Yasser Arafat de prendre la parole devant l’assemblée. L’année suivante en 1975, l’Algérie parraine et vote en faveur de la résolution 3379 à l’Assemblée générale des Nations Unies qui assimile le sionisme au racisme. La résolution est cependant abandonnée en 1991. Les accords du camp David en 1978 normalisant les relations entre l’Égypte et Israël entraînent une réaction immédiate de l’Algérie rompant les relations diplomatiques avec l’ancien camarade de lutte égyptien. Le 15 novembre 1988, la Palestine déclare son indépendance. L’Algérie est alors un des premiers pays à reconnaître complètement et officiellement la souveraineté palestinienne. Sans cesse, et continuellement, l’Algérie condamne les exactions et crimes coloniaux commis par Israël contre les Palestiniens. La guerre de Gaza en 2008-2009, l’abordage de la flottille de Gaza en 2010, l’opération Pilier de Défense en 2012, et la guerre de Gaza en 2014 suscitent tous une réaction algérienne qui condamne toujours avec le même ton les crimes israéliens. Relatif à la politique culturelle, la Palestine intègre l’UNESCO en 2011 à la demande de l’Algérie qui n’a de cesse de ramener la Palestine dans les débats sur la scène internationale, rappelant en 2022 la centralité de la cause palestinienne sur la scène internationale.

Aujourd’hui, à la suite de l’opération Déluge d’Al-Aqsa, l’Algérie se retrouve de nouveau isolée sur la scène internationale, accompagnée de la Tunisie, du Soudan, du Qatar, de la Syrie, de l’Irak, de l’Iran, de l’Afghanistan, mais aussi le Nicaragua. Ils sont les seuls pays à soutenir les Palestiniens dans leur lutte décoloniale, pour leurs droits et leur dignité. 

Depuis 1962 la Palestine trouve ainsi en Algérie un soutien matériel, diplomatique et symbolique. Partageant la même expérience de l’assujettissement et de la colonisation, l’Algérie appelle aujourd’hui dans son communiqué du 7 octobre 2023 au « rétablissement des droits nationaux et légitimes du peuple palestinien (…) ». Un appel qui cependant ne semble être que peu entendu et partagé dans le concert des nations. 

Maïssa