En lien avec le poème “Le sang de la Toussaint”, diffusé sur le site la semaine dernière, découvrez La recommandation de la semaine, le documentaire La Chine est encore loin.
« Recherchez le savoir, et s’il le faut, jusqu’en Chine » le Prophète Mohammed.
La Chine est encore loin est un coup de cœur de 2 heures, un documentaire qui prend place au cœur d’un village situé dans les Aurès. Il s’agit du village où a été commis l’un des premiers actes symbolisant le début de la révolution algérienne. Le 1er novembre 1954, près de Ghassira, l’instituteur Guy Monerrot et le caïd Hadj Sadok sont tués par des combattants algériens. Le sang de la Toussaint coule dans le village, la guerre d’Algérie est lancée.
Près de cinquante ans après, l’école dans laquelle enseignait Guy Monnerot est toujours là. Malek Bensmaïl, dresse un état des lieux de ce village à travers son œil bienveillant et effacé. Son film est brut, la caméra est installée au plus près des habitants et des élèves de l’école. Pendant deux heures, l’œil du réalisateur nous permet ainsi d’accompagner une classe de CM2 durant leur année scolaire, de suivre leurs progrès et leurs échecs, d’écouter une conversation entre moudjahidines, d’assister au quotidien des habitants du village, où les vestiges de la colonisation et l’obscurantisme de la décennie noire sont malheureusement toujours présents, et ne permettent pas d’envisager un avenir optimiste pour cette nouvelle génération de jeunes Algériens.
La colonisation, dont les traces persistent par l’apprentissage toujours présent du français dans une Algérie pourtant indépendante. Dans la salle de classe, c’est le français que l’on étudie en deuxième langue dès la primaire. Cette langue toujours pratiquée dans l’administration, dans les études supérieures, chez les familles les plus cultivées. Un professeur dit ainsi à son élève qui souhaite devenir dentiste ; « Si on ne maîtrise pas le français, on ne peut devenir médecin ». Mais c’est aussi du fait de l’endroit que les traces du passé colonial et de la guerre sont toujours apparentes. Dans une magnifique scène, les professeurs des jeunes élèves que l’on suit depuis le début du film rencontrent les anciens élèves, ceux de la révolution, ceux de Monsieur Guy Monnerot. Ils partagent alors leurs souvenirs de classe, et, surtout, leurs souvenirs de leurs professeurs. Ils se remémorent la manière qu’ils avaient d’enseigner, de faire asseoir leur autorité, ou d’observer les élèves. Ils semblent nostalgiques de leurs professeurs et un ancien élève raconte que « Le matin, on a appris la nouvelle de sa mort, on s’est mis à pleurer ».
Cinquante ans après, les enseignants sont désormais Algériens, comme leurs élèves, et tentent d’enseigner ces évènements à la nouvelle génération. Mais c’est un triste constat que dresse le film. Les rêves des élèves semblent déjà brisés, affectés par la pauvreté qui règne dans le village, l’abandon de celui-ci, l’absence d’institutions culturelles, et les vestiges de la décennie noire.
Rachida, qui nettoie quotidiennement l’école, livre un touchant monologue à la fin du film. Celle que l’on voyait apparaître dans de longues scènes de balayage ou de nettoyage à la serpillère depuis le début du film parle, sans le nommer, de l’aveuglement qui a régné dans la période de l’obscurantisme religieux des années 90. Sa liberté, elle explique l’avoir gagnée en se mettant la société à dos, et n’avoir jamais ressenti un seul jour de joie. C’est donc un état des lieux de mauvais augure pour cette jeunesse de Ghassira que dresse La Chine est encore loin. Le bilan est pessimiste pour l’avenir de cette jeune génération, dont le destin paraît être une fatalité, face au délaissement de l’Etat algérien. Mais aujourd’hui, c’est cette jeunesse qui s’est soulevée, qui défile dans les rues, qui veut mettre à la porte les puissants qui la gouvernent et l’abandonnent. Un nouvel état des lieux serait-il à dresser ? La Chine ne semblerait peut-être plus si loin que ça.
Au final, à travers les deux professeurs qui lient les deux générations, et l’école élémentaire de Ghassira, qui symbolise le savoir, c’est la transmission qui est au cœur du film de Malek Bensmaïl. C’est également la transmission des mémoires et du savoir qui irrigue le projet Récits d’Algérie. C’est pourquoi je ne saurais que vous recommander fortement de le visionner, après avoir écouté ce poème.
Par Farah
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PS: ce lien a été rendu accessible par le réalisateur, Malek Bensmaïl, pour le confinement. Peut-être expirera-t-il prochainement.